Pierre Schoeffler, Senior Advisor à l’IEIF, et conseiller à La Française, est l’invité de l’émission « Les acteurs de la pierre-papier ». Ce spécialiste des FIA immobiliers, et de leurs actifs sous-jacents, livre sa vision de la conjoncture immobilière. Et pointe les sujets qui vont s’inviter dans les marchés de la gestion d’actifs immobiliers : notation des SCPI, concentration des acteurs…
Pierre Schoeffler, vous êtes senior advisor à l’IEIF et conseiller du président de La Française. Mais surtout un spécialiste reconnu des FIA immobiliers et de leurs marchés sous-jacents. Première question, précisément sur l’état de ces marchés immobiliers. Ils ont globalement bien résisté depuis la crise sanitaire. Mais à quoi peut-on s’attendre pour les prochains mois, compte tenu des éventuelles menaces (inflation, obsolescence, nouveaux comportements…) qui pèsent sur certaines composantes de cette classe d’actifs ?
Pierre Schoeffler – Les marchés financiers ont été violemment secoués par la crise sanitaire : chute brutale des actions, rebond très violent, puis rotation sectorielle marquée entre valeurs de croissances et valeurs cycliques. Idem pour les marchés obligataires : une très forte baisse des taux d’intérêts, suivie d’un très fort rebond. En comparaison, les marchés immobiliers ont été d’un calme plat. En réalité, l’immobilier coté avait, par son repli initial, indiqué que la conjoncture immobilière devait se détériorer. Mais il est aujourd’hui revenu – sauf peut-être pour ses segments commerce et hôtellerie – à ses niveaux pré-pandémie. D’autres secteurs, comme la logistique et le résidentiel, sont même au-delà. L’immobilier a donc traversé très rapidement la crise. Mais cette dernière a laissé des traces… Elle a accéléré des tendances, comportementales et sociologiques, profondes : télétravail, e-commerce – donc logistique -, numérisation…
Ces tendances n’ont pourtant pratiquement pas impacté les valorisations…
Pierre Schoeffler – Sur l’immobilier coté, si, incontestablement. En Europe, le grand gagnant est le secteur logistique. Le grand perdant, le secteur commerce. Plus perdant, d’ailleurs, que celui de l’hôtellerie, ce qui est très étonnant. Ces traces, on les retrouve aussi du côté du secteur du bureau. Celui-ci est aujourd’hui confronté à une configuration économique et monétaire à laquelle on ne s’attendait pas vraiment. Les mesures d’endiguement prises par les pouvoirs publics pour compenser les pertes de production liées au confinement de l’économie, ont en effet été très puissantes. Trop, sans doute, au-delà du nécessaire, en particulier aux Etats-Unis.
Conséquences ?
Pierre Schoeffler – Conséquences : les revenus des ménages et des entreprises ont été plus que préservés. Et ils disposent aujourd’hui d’un trésor de guerre qui induit une très forte demande, pour les biens d’équipement notamment. Cette demande conduit à des goulots d’étranglement et à une pression inflationniste, à l’échelle mondiale. Et derrière cette pression inflationniste, c’est désormais le spectre d’une hausse des taux d’intérêt qui se profile. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour le marché immobilier…
On dit pourtant que l’immobilier est un rempart contre l’inflation…
Pierre Schoeffler – Incontestablement, oui, l’immobilier est un rempart contre l’inflation. Mais pas partout, et pas pour tous les actifs immobiliers. Le logement, autrement dit l’immobilier résidentiel, offre une couverture forte contre l’inflation. Ce n’est pas une couverture instantanée. Mais de moyen/long terme. La couverture des bureaux, en raison du caractère cyclique de l’activité, est moindre. Celle du commerce est excellente. On comprend pourquoi. Le commerce dépend de la consommation des ménages, donc de l’inflation. Le problème n’est donc pas l’inflation, mais les conséquences de l’inflation.
Donc…
Pierre Schoeffler – Face à une inflation « pérenne », les banques centrales se doivent de réagir. C’est dans leur mandat. Elles sont conduites à relever les taux d’intérêt, pour peser sur la demande, et donc sur l’inflation. Cette dernière a donc un double effet sur l’immobilier. Dans un premier temps, il est favorable, car les taux d’intérêt réagissent avec retard. L’anticipation de la hausse de l’indexation des revenus locatifs est de ce fait plus significative que celle des taux d’actualisation. On peut donc dire qu’au début d’une période inflationniste, l’immobilier se comporte plutôt bien…
Ce que l’on observe actuellement…
Pierre Schoeffler – Oui. C’est le cas aujourd’hui. Et cela l’a été durant la dernière grande période inflationniste, entre 1975 et 1985. Durant cette période, les secteurs du bureau et du logement ont fait jeu égal, en termes de performances – positives -, avec les actions. Les obligations, à l’inverse, ont été la classe d’actif perdante…
Parlons maintenant des performances des SCPI en 2021. Leur taux de distribution moyen s’affiche à 4,45%. Contre 4,18% de TDVM en 2020. Comment expliquer cette progression ? Est-elle seulement la conséquence du changement d’indicateur de performance demandé par l’ASPIM ?
Pierre Schoeffler – Il y a surtout eu un changement dans la composition de l’univers des SCPI. Parce que les taux de distribution ne sont pas du tout les mêmes selon les catégories de SCPI, bureaux, commerces, diversifiées, etc. Il faut aussi tenir compte du fait qu’il y a eu, ces derniers mois, beaucoup de lancements de nouveaux produits. Mais, globalement, en ce qui concerne le niveau des distributions, on peut parler de stabilisation. En 2020, les dividendes distribués ont bénéficié des reports à nouveau que certaines SCPI n’ont pas hésité à utiliser. En 2021, ce recours aux réserves ne semble pas avoir été aussi systématique. La situation est donc plus saine. Cette stabilisation est d’ailleurs en phase avec le marché de l’immobilier physique, où l’on constate une stabilisation des taux de capitalisation.
Une autre réforme a été engagée par l’ASPIM, celle de la catégorisation des SCPI. Elle n’a pas, en revanche, donné lieu à une remise en perspective des indicateurs de risque, un sujet sur lequel vous avez, on le sait, beaucoup travaillé. Autrement dit, on a toujours l’impression, aujourd’hui, que les indicateurs ne signalent pas les différences, en termes de risque, des stratégies mises en œuvre par les SCPI. Qu’en pensez-vous ?
Pierre Schoeffler – La régulation PRIIPS[1] a conduit à un prospectus normalisé, quel que soit le type de fonds commercialisés. Son objectif est de participer à la création d’un marché unique de l’épargne en Europe. Le problème, c’est que PRIIPS embarque dans une même méthodologie des objets très divers. Des fonds monétaires. Mais aussi des fonds constitués d’options. De ce fait, la classe d’actifs immobiliers se retrouve, en termes de risques, en catégorie intermédiaire, entre actions et obligations. Et son niveau de discrimination est très faible. PRIIPS est donc insuffisante, à mon sens, pour donner une bonne vision du risque immobilier. La nouvelle classification économique proposée par l’ASPIM vise quant à elle à affiner la classification précédente. Avant, on distinguait entre bureaux, commerces, diversifiées, spécialisés. Maintenant, la spécialisation (logistique, santé, hôtellerie…) est plus précise, à l’image de celle proposée par les indices immobiliers. Mais elle reste effectivement insuffisante.
Que faudrait-il faire ?
Pierre Schoeffler – Il me semble nécessaire d’aller vers une véritable notation des SCPI. Un peu à l’image de celle qui a été mise en place sur les obligations d’entreprise, où l’on distingue les obligations de type investment grade, high yield, crossover… C’est-à-dire une classification qui n’est pas basée sur les performances, mais sur le profil de risque des actifs sous-jacents…
En se basant, par exemple, sur le type de stratégies immobilières mises en œuvre par les SCPI : opportuniste, core ou core+, value added…
Pierre Schoeffler – Absolument. La grande difficulté c’est que, pour bien faire, il faudrait que chaque immeuble soit noté. Or, c’est un sujet complexe. Même si certaines proptech s’y attaquent aujourd’hui avec un certain succès. A tout le moins, si l’on raisonne au niveau des seules stratégies, encore faudrait-il qu’elles soient clairement identifiées.
Dernière question. On constate que de plus en plus de nouveaux acteurs se positionnent sur le marché de la gestion d’actifs immobiliers. Que de nouveaux véhicules sont lancés quasiment chaque mois. Va-t-on assister à une concentration sur ce marché ? Et au profit de qui : des acteurs traditionnels, ou de ces nouveaux entrants, souvent disruptifs ?
Pierre Schoeffler – Je crois beaucoup en la consolidation. Il y a aujourd’hui environ 50 sociétés de gestion de SCPI. Pour environ une centaine de véhicules. C’est trop. Le secteur n’est pas du tout mature. Il va donc se concentrer. Au profit de ceux qui seront capables de gérer de grands véhicules. Parce que les SCPI vont devenir des grands véhicules. Certaines pèsent désormais plus de 4 Md€. C’est une taille normale pour un fonds immobilier. C’est donc vers ce type de concentration que le marché va se diriger…
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(i) Information extraite d’un document officiel de la société
[1] Le règlement européen PRIIPs (Packaged Retail Investment and Insurance-based Products) vise à uniformiser l’information précontractuelle des produits financiers packagés (fonds d’investissement, produits dérivés, produits d’assurance-vie en mode épargne, etc.) proposés à des investisseurs non professionnels.