Deux experts – Pierre Schoeffler et Madhi Mokrane – , sollicités par l’IEIF, viennent de livrer leurs analyses de l’impact de la crise économique sur le secteur immobilier. Dont la teneur dépend bien entendu de la matérialisation, de l’ampleur, et de la nature d’une éventuelle reprise.
L’incertitude économique accroît la volatilité des prévisions… L’une des dernières en date, celle de la Banque Mondiale, estime le recul de la croissance mondiale aux alentours de 5% en 2020. Un choc plus ou moins violent selon les zones géographiques. En France il serait, selon la Banque de France, de l’ordre de 10%. Son impact « final » dépendra en outre pour beaucoup de la nature et de l’ampleur des mesures de relance mises en place. Elles aussi variables selon les pays.
Des plans de relance efficaces
Pour Pierre Schoeffler, senior advisor à l’IEIF, qui intervenait à un webinaire organisé par l’Institut le 3 septembre dernier, ces différents plans de soutien ont toutefois des points communs. Que ce soit aux USA, en Europe, ou au Japon, un même principe est mis en œuvre. «Les Etats supportent les revenus des agents privés sous forme de prêts et de subventions. Et ils se financent à taux zéro de façon permanente auprès des banques centrales », rappelle Pierre Schoeffler. Des politiques monétaires accommodantes qui se révèlent très efficaces. Beaucoup plus, en tout cas, que « lorsqu’elles passaient par le système bancaire », comme ce fut le cas après la crise financière de 2008. Peut-être, d’ailleurs, trop efficaces ? « Le calibrage des mesures fiscales et monétaires de soutien, ramené en part de PIB, apparaît surdimensionné dans certains pays », souligne en effet le senior advisor.
La question de l’inflation
A court terme, cet afflux massif de liquidités ne devrait pas impacter le taux d’inflation. En France, cette dernière devrait rester très faible, « de l’ordre de 0,5% en rythme annuel », estime Pierre Schoeffler. Mais, à moyen et long termes, une reprise de la hausse des prix semble possible. En raison des mesures de soutien de la demande. Et de la relocalisation des chaînes de valeur. L’excès de création monétaire non converti en production pourrait alors exercer « une pression à la hausse sur l’inflation ». Mais encore faudrait-il que l’investissement et la consommation repartent réellement. Rien n’est encore écrit. Pierre Schoeffler pointe en effet le risque d’une « dislocation » de l’économie, conséquence d’une augmentation des disparités de situations entre ménages, entreprises, secteurs économiques, et pays.
Quelles conséquences pour les actifs immobiliers ?
Si l’activité économique reste « moribonde », l’impact sur le secteur immobilier sera bien réel. « La baisse de l’activité immobilière pèsera sur les loyers », estime le chercheur de l’IEIF. Cette baisse est déjà quasi actée pour 2020. Le faible niveau d’inflation et le recul du PIB vont impacter temporairement l’indexation des loyers. «L’ILAT[1] pourrait baisser de plus de 5% en 2020. Et l’ILC[2] de plus de 6% », estime Pierre Schoeffler. A ce stade, l’impact sur la valorisation des actifs immobiliers reste marginal. « Inférieur à 1% », calcule l’économiste. Une stabilité que l’on retrouve du côté des fonds immobiliers non cotés. « Les valeurs de leurs parts n’ont pratiquement pas évolué depuis la fin 2019 », souligne Pierre Schoeffler.
Un impact différent selon les secteurs et la prime de risque associée
En revanche, la variation de l’immobilier coté « témoigne que la crise va avoir un impact très différencié selon les secteurs et la prime de risque associé », rappelle-t-il. Le secteur résidentiel est ainsi actuellement 10% plus cher qu’en début d’année. Les indices des secteurs du bureau, de l’hôtellerie et du commerce accusent en revanche des replis de respectivement 30%, 50% et 65%… Ce n’est toutefois que dans quelques mois, en fonction de la nature et de l’ampleur de l’éventuelle reprise, que l’on pourra réellement juger de l’impact sectoriel de la crise sanitaire. Et de l’évolution durable des comportements » et des usages vis-à-vis des bureaux, des commerces, et des logements. Mahdi Mokrane, directeur de la stratégie d’investissement et de la recherche chez Patrizia, estime toutefois que le contexte Covid-19 a d’ores et déjà contribué à faire émerger plusieurs tendances.
Value beats growth
La crise a notamment mis en exergue le principe « value beats growth ». Autrement dit, que ce ne sont pas les classes d’actifs les plus rentables historiquement qui offrent le plus de potentiel pour les années à venir. Mais bien celles qui ont montré leur résilience. Ces classes d’actifs sont l’immobilier résidentiel -dont l’attractivité dépend toutefois de l’emplacement-. Et le commerce de proximité, dans ses dimensions alimentaire et services de proximité. Mahdi Mokrane s’interroge par ailleurs sur l’avenir du bureau, à la confiance « érodée ». Mais aussi sur la poursuite du phénomène de métropolisation, à l’œuvre depuis la sortie de la dernière crise financière. Si les grandes métropoles vont probablement « conserver leur attractivité structurelle », estime-t-il, d’autres agglomérations de plus petite taille pourraient en revanche émerger. Cela dépendra notamment des « propositions de ces villes en termes d’accessibilité et de transport ». A suivre.
Frédéric Tixier
[1] ILAT (Indice des Loyers des Activités Tertiaires) est publié chaque trimestre par l’INSEE. Il est utilisé principalement pour réviser le montant des loyers des immeubles de bureaux et des locaux professionnels utilisés pour des activités autres que des activités commerciales et les entrepôts de logistique.
[2] ILC (Indice des Loyers Commerciaux) sert à calculer les révisions de loyers des locaux commerciaux et artisanaux.
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(i) Information extraite d’un document officiel de la société