Béatrice Guedj, Head of Research and Innovation chez Swiss Life AM France, décrypte les évolutions d’une classe d’actifs -l’immobilier de tourisme- dont le succès va croissant. Notamment en France. Où de nouvelles tendances ont la faveur des investisseurs. Interview.
Le secteur de l’immobilier de tourisme, de l’hôtellerie en particulier, figure parmi les plus résilient en 2023. En raison d’un « sous-jacent », autrement dit l’industrie touristique, qui a retrouvé des couleurs. Qu’en est-il précisément, notamment en France ?
Béatrice Guedj – La France, première destination touristique mondiale, a effectivement su tirer son épingle du jeu depuis la crise sanitaire. En 2023, le secteur hôtelier français a de nouveau enregistré des performances exceptionnelles. Et renforcé sa demande domestique et internationale. Le niveau d’activité de 2019 est donc désormais bien dépassé. Selon les données d’In Extenso, disponibles à la mi-février 2024, le taux d’occupation en 2023 a progressé de 3% par rapport à 2022. Et le prix moyen ressort en hausse de 7%. Sans surprise, les données les plus récentes suggèrent une « médaille d’or » pour le secteur, en lien avec l’effet Jeux olympiques.
Quid des autres pays européens ?
Béatrice Guedj – Les pays du Sud, dont l’Italie, l’Espagne et le Portugal, sont dans la même mouvance, favorisés par une hausse de la demande de loisirs. Les métriques y surpassent leur niveau de 2019. Dans les pays du Nord, les performances sont contrastées. Elles n’ont en tout cas pas encore retrouvé leurs niveaux d’avant-crise sanitaire. Car la demande d’affaires, si elle reprend, a été significativement impactée par l’effet du travail hybride.
Comment s’est comporté le secteur de l’immobilier hôtelier en Bourse ?
Béatrice Guedj – Sur le marché européen des foncières cotées, la performance du secteur de l’hôtellerie a été sur un trend positif depuis 2022. Il se positionne sur le podium, derrière les secteurs de la logistique et de l’entreposage. A titre d’illustration, à la fin du mois de mars 2024, le secteur immobilier hôtelier enregistre une performance globale de 11,7% sur un mois. Et de 15,2% depuis fin décembre 2023. Sur le marché des SCPI spécialistes de l’hospitality, la performance globale est de 5,12% pour l’année 2023. Bien supérieure, donc, à la moyenne du secteur dans son ensemble.
Revenons au « sous-jacent ». Quels sont les principaux indicateurs qui attestent du rebond du secteur hôtelier en France ?[1]
Béatrice Guedj – En 2023, en dépit d’un contexte inflationniste, et d’un ralentissement économique, les performances ont été soutenues sur de nombreux segments et territoires français. La métrique clé telle que le chiffre d’affaires d’hébergement[1] est en hausse de 10% sur un an. Et supérieure à 19% par rapport à son niveau de 2019. En outre, en 2023, les performances, en termes de prix moyen par gamme d’hôtels, restent positives sur tous les segments. On constate donc que les écarts de croissance selon le type d’offre se sont résorbés, comparativement à 2022[2]. Les taux d’occupation sont aussi en hausse, avec des amplitudes de +1% à +5%. Précisons d’ailleurs que les taux d’occupation, en absolu, demeurent très différents entre le luxe ou le super-économique…
Précisément, tous les segments de l’hôtellerie progressent-ils au même rythme ?
Béatrice Guedj – Globalement, les chiffres d’affaires continuent de progresser, malgré le ralentissement économique. Et en dépit du fait qu’ils ont déjà dépassé leurs niveaux de 2019. Les progressions les plus notables sont celles des segments haut-de-gamme et luxe. Ils s’affichent à +12%, contre +13% en 2022. Le segment milieu-de-gamme est à +11% (contre +8%), l’économique à +7% (vs +9%). Enfin, le segment super-économique enregistre un fort rebond, avec +10%, contre 1% précédemment. Ce rebond s’explique en partie par l’effet Coupe du monde de rugby. Mais aussi par une demande croissante de voyageurs plus regardants sur leur budget, ralentissement économique oblige. Nos analyses montrent d’ailleurs qu’en phase de ralentissement -voire de récession- les segments super-économique et économique sont des typologies résilientes. Les touristes préfèrent en effet dépenser moins en hébergement à ne pas voyager.
Ces progressions sont-elles uniformes sur tout le territoire ?
Béatrice Guedj – Sans surprise, le rebond des chiffres d’affaires continue d’être plus rapide à Paris (+17% après +18%). Poussé sans doute par l’effet rugby et par des week-ends prolongés toujours favorables à Paris, ville des lumières et des amoureux. Les hausses ont été plus mesurées, mais notables sur la Côte d’Azur (11% après +18%) et en province (+8% après 7%). Ces croissances à deux chiffres s’expliquent toujours par le rebond des touristes étrangers, cross-border et internationaux. Car la parité euro-dollar, favorable aux touristes américains, est toujours synonyme de fréquentation en hausse dans les segments haut-de-gamme et luxe.
Quels enseignements tirer de ces tendances ?
Béatrice Guedj – Au-delà de ces bons chiffres, la compréhension de cette dynamique est effectivement importante pour juger du potentiel de ce secteur à moyen et long terme. D’abord, l’offre de l’hôtellerie française s’est très vite adaptée aux nouvelles exigences de la demande. Que ce soit en termes de « lifestyle », de « bleisure[3] », mais aussi d’éco-responsabilité. Les changements structurels, dont le travail hybride, ont aussi favorisé le secteur via des séjours plus fréquents -et donc, in fine, en augmentant les taux d’occupation-, de la part des voyageurs domestiques et européens. Cette nouvelle dynamique de comportements est venue lisser les pics de saisonnalité qui caractérisaient auparavant le secteur.
Le secteur de l’immobilier touristique a néanmoins, lui aussi, connu un fort ralentissement des transactions. Quelle est l’attitude des investisseurs, actuellement, sur ce segment de marché ?
Béatrice Guedj – Malgré un fort ralentissement des volumes, effectivement, comme sur les autres marchés, l’appétit pour le marché hôtelier français ne s’est en revanche pas tari. En 2023, dans un contexte de rareté de produits et de hausse du coût du financement, les investisseurs institutionnels ont multiplié les petites lignes, plus que les portefeuilles. Signe qui ne trompe pas : les investisseurs internationaux, fonds souverains et fonds de pension, sont unanimes pour se positionner sur le segment. En raison de ses solides fondamentaux identifiés à long terme. C’est-à-dire : une demande plus intra-européenne, une offre très diversifiée[4]; mais aussi plus contrainte en termes de « pipeline », comparativement à d’autres pays européens. Le marché français offre enfin la possibilité d’associer différents profils de risque par produit. Cette stratégie de combinaison entre différents profils de risque par localisation assure de fait une diversification stratégique.
Quel volume de transactions en 2023 sur le marché français de l’immobilier de tourisme ?
Béatrice Guedj – Au total, selon les données de JLL, ce sont 2,2 Md€ qui se sont échangés en France en 2023. Un niveau identique à celui observé en 2022. Et qui représente 18% du volume total des 12 Md€ de transactions enregistrées en immobilier commercial l’an dernier. Rétrospectivement, ce niveau est en ligne avec la moyenne sur 10 ans. Exception faite de l’année 2020, année de pandémie, c’est la carence de produits en France qui explique la volatilité des volumes d’investissement.
Quel type de stratégie est plus particulièrement prisée des investisseurs aujourd’hui ?
Béatrice Guedj – La nouvelle donne, dans le secteur de l’immobilier touristique, c’est la stratégie « murs et fonds ». Elle permet de doper la performance globale d’un portefeuille, dans un marché perçu comme transparent et profond. Il est en effet bien évident que, dans un contexte de taux qui resterait plus élevé que lors de la décennie passée, la génération de revenus en sus de l’indexation sera particulièrement prisée. C’est la raison pour laquelle les investisseurs sont aujourd’hui plus disposés à adopter une telle stratégie « murs et fonds ».
Cette « nouvelle donne » est-elle spécifique au marché français ?
Béatrice Guedj – Elle se développe en France, mais aussi dans d’autres pays du sud de l’Europe. Ceux qui offrent, pour les touristes, « great value for money »… Un tel appétit pour la France et les pays du Sud s’est d’ailleurs traduit par une résorption des taux de capitalisation entre les acquisitions murs, et les acquisitions murs et fonds. Même si la décompression des taux de capitalisation s’est observée avec la hausse des taux d’intérêt, son amplitude reste toutefois très mesurée. En regard des secteurs plus classiques, comme le bureau, ou le secteur de la logistique.
En résumé, quel potentiel pour l’immobilier touristique ?
Béatrice Guedj – L’hôtellerie, en France, va rapidement devenir une classe d’actifs « classique ». Du fait de sa capacité générer plus de revenus dans un contexte de rareté lié à une forte réglementation. Il est donc fort probable que les véhicules immobiliers, institutionnels ou grand public, y allouent stratégiquement une part croissante de leurs allocations…
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A propos de Swiss Life Asset Managers(i)
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(i) Information extraite d’un document officiel de la société.
[1] RevPar, ou revenu par chambre disponible.
[2] Les marchés du haut de gamme et du luxe enregistrent une hausse du prix moyen de 7%, après 27% par rapport au niveau de 2019, contre 8% pour le milieu de gamme (après 15% en 2022 par rapport à 2019), et 7% pour l’économique (après 10% en par rapport à 2022) et 9% sur le super-économique (11% en 2022 par rapport à 2019).
[3] Le terme « Bleisure travel » est un mot-valise formé à partir des mots « business » et « leisure » (affaires et loisirs). Il fait référence à une tendance où les professionnels ajoutent des activités touristiques à leurs voyages d’affaires.
[4] En nombre de clés, de gammes, de localisations…