Liquidation judiciaire, repositionnement d’acteurs importants et précurseurs : les articles « dévoyant » le crowdfunding se multiplient ces derniers jours. Doit-on pour autant parler du « début de la fin » ? Eh bien non, cette mutation en cours – et attendue ! – est plutôt annonciatrice de la « fin du début »…
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le financement participatif continue d’afficher de belles évolutions [1] et perspectives. Au 1er semestre 2018, le crowdfunding représente 208,6 M€ (soit un tiers des financements alternatifs), avec une progression de 36% par rapport au 1er semestre 2017. A eux seuls, les projets « économiques » – sans compter donc les projets culturels et sociaux – ont levé 166 M€, dont 52% sur le secteur immobilier (86 M€ au S1 2018), lui aussi toujours en croissance.
Des acteurs en chemin vers une structuration opérationnelle et un renforcement de leur solidité financière
Si le nombre des plateformes n’a cessé d’augmenter depuis fin 2014, passant de 5 à presque 50, elles ont également poursuivi leur structuration financière – augmentation du capital social – et opérationnelle – croissance des effectifs -. Le financement participatif immobilier, notamment, s’est considérablement élargi. Les montants collectés par les plateformes ont très nettement progressé. Et, en dépit de son retard par rapport aux marchés anglo-saxons, le crowdfunding immobilier français s’est ouvert à de nouvelles opportunités, notamment par la mise en place d’un statut « CIP élargi » (conseil en investissement participatif) permettant aux plateformes CIP de proposer, sous certaines conditions, des investissements en immobilier locatif. De fait, si, historiquement le crowdfunding immobilier s’est tout d’abord porté vers le financement de programmes de promotion immobilière, la notion de « projets immobiliers » est devenue au fil du temps de plus en plus large. S’y intègrent désormais des projets dans les domaines du commerce, de l’hôtellerie, du résidentiel, de la rénovation, des achats-reventes, du financement entrepreneurial du promoteur… Et du locatif !
Facteurs explicatifs de la situation du crowdfunding en général, et immobilier en particulier
L’industrie du crowdfunding immobilier étant encore jeune, il est vrai que le « marché » des sorties est encore étroit. Cependant, on noterait actuellement moins de 3% de projets en retard (en volume et en valeur [2] ). Rappelons [3] que les plateformes présentent une hétérogénéité importante en matière de localisation et zones d’intervention, de types de projets financés, de segmentation de leurs activités et de pratiques opérationnelles. L’industrie est en outre relativement concentrée : en immobilier participatif, peu d’acteurs représentent la majorité des montants levés. Enfin, le modèle économique des plateformes de prêt est basé sur un marché de volume. Or, il est d’usage de considérer que, pour être viable économiquement, une plateforme « IFP » (intermédiaire en financement participatif) doit collecter au moins 180 M€ par an ! Force est de constater que la notoriété du financement participatif n’est pas encore à la hauteur des espérances des parties prenantes…
Des sources de financements « contraintes »
Même si les acteurs traditionnels s’intéressent désormais de très près au financement participatif et concourent ainsi, par de l’investissement en capital ou par rachat, au développement et à la pérennisation de ce financement alternatif, il faut reconnaître que la suppression de l’ISF PME a réduit de manière conséquente le volume investi chez certaines plateformes de CIP, qui ne collectaient les fonds que via des émissions d’actions. La baisse importante de collecte via des actions pourrait d’ailleurs laisser penser que la suppression de l’ISF ne confirme pas les attentes du gouvernement en matière de réaffectation de l’épargne des Françaisvers le financement de l’économie réelle. Les souscriptions d’obligations, qui affichent une progression de +114% par rapport au 1er semestre 2017, apportent en revanche de l’eau au moulin gouvernemental. Précisons toutefois que les voies de commercialisation sont en partie « contraintes ». Les plateformes CIP ne peuvent en effet rémunérer ni les CIF (conseils en investissement financier) – ni les CFE (conseils en finance d’entreprise) – en pourcentage du montant investi (cas d’un client particulier investisseur) ou au prorata du montant levé (cas d’un client porteur de projet). Et les plateformes IFP n’ont pas plus la possibilité de rémunérer les « IOBSP » (intermédiaires en opérations de banque et services de paiement)…
Des perspectives de croissance
Fort heureusement, législateurs et régulateurs se sont emparés de la question, et cherchent à encourager le développement de la finance participative. La loi PACTE rend éligibles au PEA PME de nouveaux titres : obligations taux fixe, mini-bons et titres participatifs. De plus, cette même loi agit favorablement à un autre niveau de la finance participative, en offrant la possibilité aux institutionnels d’investir une part raisonnable de l’argent confié par les particuliers (via les plans d’épargne par exemple) sur du crowdfunding. Elle vise également à renforcer l’outil crowdlending, puisqu’un amendement propose d’adapter les statuts IOBSP et IFP, afin notamment d’améliorer l’articulation entre ces acteurs du financement des entreprises et d’augmenter ainsi les options possibles de financement pour les entrepreneurs… Il était grand temps. Par ailleurs, les députés de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen ont adopté leur position sur les règles relatives à la création et au fonctionnement des prestataires européens de services de financement participatif (ECSP – pour European Crowdfunding Services Provider) pour les entreprises. Afin de favoriser le financement participatif transfrontalier, plusieurs mesures ont notamment été adoptées : un statut exclusif du statut national, un plafond de levée de fonds augmenté à 8 M€ sur une période de 12 mois, l’établissement et la présentation d’un DIC (document d’informations clés) et un agrément de l’autorité nationale.
Rappelons pour finir que, selon Suchman [4], il existe trois types de légitimité : la légitimité pragmatique, fondée sur une évaluation (en termes de coûts, par exemple), la légitimité normative, qui est une évaluation morale, et enfin, la légitimité cognitive lorsque l’organisation obtient le statut de taken-for-granted [5]». La finance participative semble s’acheminer – mais peut-être plus lentement qu’elle ne le souhaiterait – vers la légitimité. En espérant que la conjoncture économique au sens large, et immobilière en particulier, ne lui coupera pas les ailes…
[1] Source : “Baromètre du Crowdfunding en France pour le 1er semestre 2018”, réalisé par KPMG pour Financement Participatif France.
[2] Hellocrowdfunding.fr
[3] Etude Crowdimmo : « Entre attractivité et risques : quel avenir pour le crowdfunding immobilier ? » C.Magnier & C. Mahinc- Juin 2017.
[4] Suchman, M. C., 1995, « Managing legitimacy : Strategic and institutional approaches ». Academy of Management Review, 20, p. 571-611.
[5] Etre considéré comme allant de soi ; être apprécié à sa juste valeur.