Une campagne de crowdfunding est une gestion de projet complexe, multi-facettes : de nombreux leviers sont à actionner (communication, emailings, site internet, réseaux sociaux…), actions de suivi, de vigilance sur les blogs et sur les pages dédiées.
La crise financière de 2007-2008 a provoqué l’émergence de nouvelles règles prudentielles – notamment Bâle 3 – qui impactent la gestion des risques par les établissements bancaires, et leur politique de distribution de crédit. Jusqu’ici, les banques prêtent favorablement aux PME. Mais jusqu’à quand… ?
De nouveaux besoins de financement
De leur côté, les entreprises sont en pleine (r)évolution. Outre leur développement commercial de « base », elles doivent gérer le phénomène digitalisation, et financer leur transformation numérique. Ces besoins accrus sont en outre de nature différente. Il s’agit de plus de financer de l’investissement immatériel. Ou de compléter un financement bancaire. Toutes les parties prenantes ont donc intérêt à ce qu’émergent des sources de financement alternatives par rapport au financement bancaire. Au cas où les banques ne pourraient plus porter les risques de la même manière que par le passé. Dans ce contexte, de nouveaux modes de financement, dématérialisés, s’offrent aujourd’hui aux entreprises. Le plus en vogue ? Le crowdfunding… Celui qui interroge : l’ICO[1]… Aucun de ces modes de financement, assortis de ses propres avantages et inconvénients, ne doit être considéré comme le viatique idéal. Mais comment les TPE-PME appréhendent-elles les systèmes de financement alternatifs mis à leur disposition ?
Une démultiplication des sources de financement bénéfique
Le crowdfunding peut être une solution. Souvent, les sources de financement traditionnelles ne prennent pas en compte le bénéfice social d’un projet. Elles se concentrent uniquement sur des éléments tangibles et facilement mesurables : des mesures financières, principalement. Et le crowdfunding a une qualité très particulière : il permet notamment de financer des projets qui ont une forte utilité sociale, mais une faible rentabilité financière. Les plateformes disposent d’une réactivité, d’une simplicité et d’une flexibilité sans pareil : pour la plupart, elles ne réclament pas, par exemple, de garanties ou de caution. Elles sont ainsi en capacité de financer de l’immatériel. Ou de s’engager sur des délais très courts, permettant ainsi au porteur de projet d’obtenir des fonds en un temps « record »… Ce type de financement est jugé rapide, ludique, décomplexé ; il privilégie l’ouverture, les contacts, les nouveaux sponsors, le partage et la liberté. Des qualités qui font souvent défaut aux acteurs conventionnels.
Un deuxième effet de levier
Cette levée de fonds peut venir en « accompagnement » des fonds propres de l’entrepreneur, en quasi-fonds propres, et ainsi favoriser le levier bancaire. Elle peut également venir libérer les fonds propres initiaux de l’entrepreneur, disponibles pour financer d’autres opérations. Cette utilisation du crowdfunding permet donc un deuxième effet de levier, après celui des banques. Bien évidemment, elle permet d’améliorer la rentabilité des fonds propres (sous certaines conditions). Ainsi, lorsque la levée intervient en refinancement de fonds propres, l’entrepreneur peut accroître le nombre d’opérations mises en œuvre et ainsi accélérer son développement. De plus, le crowdfunding constitue un formidable levier de communication de masse : prévente d’un produit, mais également promotion globale pour la structure et non pas seulement pour le projet porté ! Dans cette mesure, le crowdfunding est complémentaire de la finance de marché et de la banque : il permet de financer d’autres projets ayant des buts différents, mais sans pour autant se substituer aux financements traditionnels. Il ne faut pas pour autant considérer le financement participatif comme une solution, un remède à tous les besoins de financement ! Il comporte des risques…
A s’approprier pour les maîtriser
Doit-on pour autant considérer l’outil crowdfunding comme une opération de communication autofinancée ? La réussite d’une campagne se joue dans les premières heures. D’où la nécessité absolue d’amener sa communauté proche à contribuer dès le lancement (cercle 1). La montée en puissance amènera le cercle 2 et ensuite le cercle 3 (le grand public) à s’intéresser à cette campagne et à vouloir y contribuer. La réussite de ces campagnes est donc directement liée à la qualité de la préparation et aux moyens humains et financiers alloués par l’entreprise en recherche de financement. Elle doit avoir un « côté FinTech » ! Une campagne de crowdfunding est une gestion de projet complexe, multi-facettes : de nombreux leviers sont à actionner (communication, emailings, site internet, réseaux sociaux…), actions de suivi, de vigilance sur les blogs et sur les pages dédiées…
Raccourcir les délais de mises en œuvre
Il est évident que la finance participative a l’atout majeur d’offrir la possibilité de raccourcir le time to market (le délai de mise en œuvre nécessaire pour le développement et la mise au point d’un projet ou d’un produit, avant qu’il puisse être lancé sur le marché). Mais cette vitesse n’entrave-t-elle pas les bonnes prises de décision ? Ne va-t-elle pas de pair avec le risque de pertes potentiellement plus importantes en cas de défaillance de l’entrepreneur qui aurait sollicité de façon répétitive des financements participatifs ? La gestion administrative post-investissement, notamment, est encore peu abordée et anticipée. Un certain nombre de porteurs de projet tente de pallier ce type de difficultés par la mise en place de montages juridiques (type holding) pouvant limiter les contraintes liées à un nombre grandissant d’investisseurs à gérer à la suite d’une levée de fonds réussie. Si le traitement des souscriptions et la vérification des versements sont notamment pris en charge par la plateforme de crowdfunding, certaines diligences peuvent rester à la charge de l’entreprise ayant levé les fonds (réponses aux questions des investisseurs, actualisation des données personnelles des investisseurs en cours de vie de la souscription, versement de dividendes…) et peuvent donc représenter un budget de fonctionnement important (back office, juridique…).
Des dérogations sous respect d’obligations
A l’origine, les sociétés émettrices d’actions ou d’obligations qui souhaitaient se financer (grâce au crowdfunding) tombaient sous le joug de la réglementation, par la nature même de l’offre qu’elles réalisaient : l’émetteur (entreprise porteuse du projet) était tenu de publier un prospectus d’information lors d’une offre au public de titres financiers. Le financement participatif bénéficie d’un certain nombre de dérogations, et par là même le porteur de projet. Mais cela ne vaut qu’en cas de stricts respects des obligations de compliance de la plateforme ! Toutes les entreprises ne sont pas éligibles à un accompagnement en levée de fonds, y compris en crowdfunding. Par ailleurs, afin de préserver l’entreprise, il est recommandé de signer un accord de confidentialité avec la plateforme, au moment de la présélection. De plus, le dirigeant (porteur de projet) risque de commettre une faute de gestion s’il accepte de signer (et donc d’engager la société) une convention de compte courant d’associé prévoyant un taux d’intérêt beaucoup plus élevé que ce qu’il aurait pu obtenir en utilisant d’autres moyens de financement.
Les trois millions de dirigeants de TPE/PME ne maîtrisent pas forcément ces subtilités. Très compétents dans leurs métiers, certains ne possèdent que de (trop) vagues notions en financement, d’autant plus que jusqu’ici, le partenaire bancaire était le partenaire financier exclusif. « En théorie, la démultiplication des sources de financement auxquelles les entreprises peuvent faire appel est bénéfique. En pratique, cela va être long pour les entreprises de s’approprier ces nouvelles règles du jeu, cette nouvelle culture, avec l’idée de pouvoir mobiliser d’autres sources de financement »[2].
Lire aussi : De l’interprofessionnalité dans le crowdfunding
[1] L’Initial Coin Offering est un nouveau mode de financement qui mêle crypto-monnaie et blockchain
[2] Fabrice Pesin, Médiateur national aux crédits des entreprises et Président de l’Observatoire du financement des entreprises.