Mise à jour 20 juin 2023, sur la question du logement : cet article a été publié il y a un an et demi. Toute ressemblance avec la situation d’aujourd’hui ne serait pas fortuite…
Vous vous souvenez peut-être des Lettres Persanes de Montesquieu. Normalement vous en avez entendu parler pendant votre scolarité, Bon, pour ceux ou celles dont les souvenirs seraient flous, je mentionne que ce chef d’œuvre a secoué les idées sur la société française au début du 18ème siècle. Et quel était son grand message ? Apprendre à regarder les situations habituelles comme si on les découvrait pour la première fois.
C’est l’exercice que je vous propose pour analyser la crise du logement en France dans le marché immobilier, depuis la crise sanitaire.
Montesquieu est d’autant plus intéressant pour nous aider à cet exercice, qu’il était un observateur particulièrement attentif de la gouvernance de la société, de la façon dont celle-ci traite ses grands enjeux.
Flambée des prix des logements
Le logement, donc. Prix immobiliers élevés, loyers élevés. Problèmes de pouvoir d’achat pour beaucoup de Français. Et vrai problème social. En effet, pour nombre de familles pour lesquelles coût du loyer est trop lourd dans le budget, l’accession à la propriété est de toute façon inaccessible : soit parce qu’il y a une hausse des prix de vente, soit parce que les banques refusent de prêter.
Aujourd’hui, travailler ne permet plus forcément de se loger de façon satisfaisante.
Et que fait le gouvernement ?
Oh, plein de choses. Il donne à la fois un avantage fiscal aux propriétaires qui louent en-dessous du prix de marché, mais aussi aux particuliers qui investissent dans les constructions neuves ou pour des travaux qui réduisent la consommation énergétique de leur logement.
Et en même temps, il décide qu’il sera interdit de louer un logement s’il est trop consommateur d’énergie. Il envisage même de pénaliser les maisons individuelles avec jardin, dont le modèle est obsolète et énergivore. Autrement dit, le gouvernement ne chôme pas, à chaque instant il se passe quelque chose du côté du logement en France. Et pendant ce temps-là, le mal logement ou le logement cher sont des problèmes qui durent…
Au secours Montesquieu ! Que dirait-il s’il visitait notre époque et se penchait sur la question du logement dans notre beau pays ?
Je crois que son premier étonnement porterait sur le refus délibéré de se concentrer sur ce qui est le plus important : il n’y a pas assez de logements par rapport au nombre de familles. Conséquence, les prix sont trop élevés et les loyers sont trop chers.
Augmentez le nombre de logements plus vite que l’augmentation de la population, et les choses vont revenir dans l’ordre. Pourquoi n’est-ce pas la priorité numéro un, celle sur laquelle on met tous les efforts ? Pourquoi en parle-t-on autant, depuis plus de vingt ans, et en parle-t-on encore, au lieu de passer vraiment à l’acte ?
S’attaquer à l’essentiel, le nombre de logements
D’accord, c’est plus facile à dire qu’à faire. Le problème n’est pas simple, c’est vrai, pour résoudre le déséquilibre entre demande et offre de logements. Car il faut travailler dans deux directions à la fois :
– Un, construire plus, plus vite, là où les gens veulent habiter, ce qu’on appelle les zones denses, celles où le prix et les loyers montent le plus.
– Et deux, redonner de l’intérêt aux villes moyennes, pour rendre possible aux gens de mieux se répartir sur le territoire,
Vaste chantier ! Les ministres du logement se succèdent, chacun ou chacune fait plein de choses, prend de nombreuses mesures, annule celles de ses prédécesseurs, en invente de nouvelles. Au lieu de s’attaquer pour de bon à l’essentiel.
Si, si, on s’en occupe. On encadre des loyers, on encourage même fiscalement les propriétaires à louer moins cher que les niveaux de marché. Ah, c’est formidable ! Mais cela fait combien de logements en plus ? Pas un seul, nous courrons vers une pénurie de logement.
Heureusement, il y a des commissions et des rapports, parfois remarquables. Bourrés de solutions brillantes, et souvent pragmatiques. C’est pour cela qu’aujourd’hui, sans aucun doute avec intelligence et bonne volonté, le gouvernement encourage la transformation de bureaux en logements. Il encourage aussi la reconquête de friches industrielles pour construire en particulier des logements.
Mais on sait bien que tous les résultats mis bout à bout de tous les efforts que l’on fait, seront de toute façon insuffisants, et de très loin, par rapport au problème à résoudre qui est celui du nombre de logements.
En un mot comme en cent, Montesquieu nous dirait que le nombre de logements, s’il est bien connu et identifié comme le problème majeur, celui auquel il faudrait s’attaquer, est orphelin de véritable ambition politique.
La rénovation énergétique
Mais il aurait une deuxième source d’étonnement. Le, ou plutôt la, pour l’instant, ministre du logement voudrait mettre fin au modèle de la petite maison avec jardin. Bon. Cela fera combien de logements en plus ? Ah, pardon, ce n’est pas le sujet.
Mais c’est quoi le sujet au fait ? La transition écologique. Mais oui, le ministère du logement n’est pas un ministère autonome, c’est un ministère rattaché à celui plus important de la transition énergétique.
Ah bon ? Le sujet n’est pas le logement des Français ni une augmentation du prix mais le basculement vers moins de consommation d’énergie. Il fallait nous le dire !
Donc cessons d’espérer que l’on résolve le rapport entre le nombre de logements et celui des familles à loger, ce n’est pas le sujet principal. Le vrai sujet, c’est de dépenser moins. Alors, vive la transition écologique !
Mais notre Montesquieu s’étonnerait une troisième fois. Un calendrier a été fixé, qui interdira progressivement la location d’appartements ou de maisons qui seraient en retard sur les mises aux normes de consommation énergétique.
C’est intéressant. S’il y avait assez de logements, aucun propriétaire ne pourrait louer sa passoire énergétique. Donc il n’y aurait pas besoin d’interdire.
Mais comme justement il n’y a pas assez de logements, il y a des candidats locataires et des futurs acquéreurs même pour les passoires énergétiques : interdisez, et vous aggravez encore l’insuffisance du nombre de logements. Cherchez l’erreur !
« Comment peut-on être persan ? » est la question qui est attachée à la célébrité des Lettres Persanes. Il me semble que la grande question que poserait Montesquieu sur le sujet du logement en France serait aujourd’hui la suivante : « Mais pourquoi n’auriez-vous pas tout simplement un ministère qui s’en occuperait ? ».
Bon. Nous allons renvoyer Montesquieu dans son siècle, et rester dans le nôtre.
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