Les arnaques aux placements sont plus fréquentes qu’on ne le croit généralement. À la suite de sa longue carrière de journaliste financier, Jean-Denis Errard vient de publier un « Anti-Manuel de l’épargnant »(1). Il met en garde. Aussi bien contre les fraudes ou les escroqueries les plus grossières, que les informations biaisées ou incomplètes. Explications dans cet entretien
Guy Marty : Dans votre livre, vous donnez de nombreux exemples de mésaventures, voire de franches arnaques. Vous pensez vraiment que ce sont des choses courantes ? Que le monde de l’argent, de l’épargne est dangereux à ce point ?
Jean-Denis Errard : Les arnaques aux placements et les fraudes sont estimées à 500 millions d’euros par an par le parquet du tribunal judiciaire de Paris et l’AMF, le gendarme de l’épargne. Ce n’est qu’une estimation. Je pense que c’est bien pire parce que les épargnants ne sont souvent pas conscients de s’être fait avoir. Ou n’ont pas envie de le reconnaître. Alors, il y a les petites tricheries, les mensonges par omission, les empilements de frais qui font qu’au final la performance profite moins à l’épargnant qu’aux professionnels.
Et puis il y a la vraie fraude. Celle induite par Internet qui fait entrer les bandits de grand chemin dans les foyers. Les particuliers ne lisent presque plus la presse pour leurs placements. Ils vont de moins en moins à la banque pour prendre conseil. Ils vont de plus en plus sur les sites internet chercher ce qu’ils croient être les bons placements. On est entré dans l’être du « do it yourself », et là les imposteurs ont vite fait de détrousser les naïfs. Comme l’écrit La Fontaine, dans « Le Loup et le Renard, « chacun croit fort aisément ce qu’il craint et ce qu’il désire ».
La Fontaine, conseiller en sécurité financière
Guy Marty : L’un des charmes de votre livre est sans nul doute la référence systématique aux fables de La Fontaine. Que vous parliez banque, assurance immobilier, impôts ou retraite, vous trouvez toujours une fable de La Fontaine pour illustrer votre propos. Vous avez un faible particulier pour cet écrivain ?
Jean-Denis Errard : Oui les fables de La Fontaine sont une formidable façon de dire les choses. « En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire » (« Le Pâtre et le Lion »). En lisant les fables on finirait par croire qu’elles ont été écrites aussi pour passer des messages aux épargnants ! Alors j’ai choisi 40 fables qui constituent les 40 conseils du livre.
Vous retrouvez les plus connues, comme « La Cigale et la Fourmi », qui encourage à avoir « quelque grain pour subsister », c’est-à-dire mettre de l’argent de côté pour se protéger « lorsque la bise fut venue ». On pense aussi à « Le Corbeau et le Renard » qui met en garde contre les mauvais conseillers car « Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ». Je citerai encore « Le Lièvre et la Tortue » qui explique que plus tôt on met de l’argent de côté, mieux ce sera en termes de capital notamment pour la retraite. Bien d’autres fables sont moins connues, et très utiles pour apprendre à débusquer les mauvais placements et les arnaques.
Guy Marty : Pourquoi avoir appelé votre livre « L’anti-manuel de l’épargnant » ?
Jean-Denis Errard : Parce que mon but n’était pas de faire un manuel, c’est-à-dire simplement un mode d’emploi. Mon but est d’aller à l’encontre des tartufferies des uns tout autant que des ignorances des autres. Vous savez, les fables de la Fontaine sont aussi à leur manière un anti-manuel. Le fabuliste n’aurait jamais pu dire explicitement tout ce qu’il laisse entrevoir. Sinon, comme son ami Nicolas Fouquet, le roi Louis XIV l’aurait envoyé à la Bastille.
Mon intention, si vous voulez, ce n’est pas « comment faire » mais « comment ne pas se faire avoir ! » Il y a une autre fable que j’affectionne, « Le dépositaire infidèle », où La Fontaine se moque « des trompeurs, des scélérats, Des tyrans et des ingrats, Mainte imprudente Pécore, Force sots, force flatteurs ; Je pourrais y joindre encore Des légions de menteurs. »
Toutes les informations ne sont pas bonnes à dire ?
Guy Marty : Avez-vous des regrets en tant que journaliste, des sujets que vous auriez aimé aborder, ou aborder autrement que vous ne l’avez fait ?
Jean-Denis Errard : Quand on est journaliste il y a des choses qu’on ne peut pas dire au risque de se prendre une action en diffamation ou une menace d’action en justice, ce qu’on appelle les procès bâillons. Il m’est arrivé d’alerter dans mes articles sur des fraudeurs et de recevoir aussitôt une mise en demeure d’effacer mon avertissement. Même les associations professionnelles de CGP n’ont pas le droit de mettre en garde ouvertement contre les fournisseurs douteux ni de radier un de leurs membres douteux. Seuls les régulateurs, l’AMF et l’ACPR, ont le pouvoir de le faire mais ils le font souvent trop tard. Et ils ne peuvent réagir que dans les limites de ce que dit la loi.
Les règles sont bien plus protectrices en France qu’ailleurs. Mais lorsqu’une société a obtenu un « visa » pour commercialiser un produit cela ne signifie pas que c’est un bon placement avec un niveau de frais correct. Cela veut juste dire que les normes d’information de l’épargnant sont respectées. Comme l’écrivait déjà La Fontaine « Le monde n’a jamais manqué de charlatans » (« Le maître de rhétorique et l’âne »).
Guy Marty : L’information à laquelle tout un chacun peut avoir accès, est plus abondante aujourd’hui que jamais. Il est parfois difficile de faire la part entre informations véritables et informations commerciales, entre propos superficiels et analyses ou opinions fondées. Quels conseils donneriez-vous à nos internautes pour s’y retrouver ?
Jean-Denis Errard Ce qui m’agace par-dessus tout c’est de voir un journaliste encenser un placement bancaire ou immobilier sans se demander si lui-même y mettrait son argent ! Il trahit son lecteur. Un journaliste doit avoir un minimum d’éthique et de sens critique, sinon à quoi sert-il ? Beaucoup d’épargnants ont perdu confiance et vont chercher sur les sites internet des conseils qu’ils croient plus libres et plus malins pour placer leur argent. En réalité ils entrent dans un far west sans foi ni loi avec des influenceurs grassement rémunérés pour vendre de la camelote ou pire, des produits frauduleux.
Les régulateurs sont débordés, et comme les policiers dans les banlieues livrées aux trafics, ils ne peuvent pas faire grand-chose si ce n’est agiter un chiffon rouge que personne ne regarde. L’intelligence artificielle va aggraver les choses parce que les robots sont incapables de faire le tri entre vraies informations et fake news. Rien ne remplacera un bon conseiller, reste à le trouver !
Tous victimes ?
Guy Marty : L’information est aussi de plus en plus complexe et les épargnants n’ont pas la formation suffisante…
Jean-Denis Errard : La banque va vous asséner que la finance c’est complexe. Justement pour que vous n’y mettiez pas votre nez ! Et les financiers adorent compliquer aussi pour vous dissuader de chercher à comprendre ! Il y a quelques années l’assurance vie était un produit génialement simple. Je ne parle pas de l’époque où j’ai commencé ma carrière, lorsque régnaient les « mixtes à frais précomptés », une truanderie à grande échelle. Aujourd’hui l’assurance vie est un immense succès mais j’observe de plus en plus de dérives sur les frais prélevés. Je pense que ce placement est devenu parfois plus profitable aux sociétés d’assurance et aux gestionnaires de fonds qu’aux épargnants.
Les parlementaires, tout comme l’AMF et l’ACPR qui sont les superviseurs des sociétés, sont largement responsables de cette complexité. Ils étouffent les épargnants sous des monceaux de réglementations inutiles. Tout cela j’en parle dans mon livre. Le « DIC » par exemple, Document d’Informations Clés, quelle monstruosité !
Guy Marty : Vous avez parfois la dent dure dans votre anti-manuel !
Jean-Denis Errard J’essaie juste de parler vrai. Par exemple, je me méfie de ce qu’on appelle la défiscalisation. A l’issue d’une conférence que j’avais faite à l’université de Rouen un conseiller financier me prend à partie et m’explique qu’il fait faire de belles opérations en immobilier « Pinel » à ses clients. « Okay, ai-je réagi, je demande juste à voir sur un tableur ce qu’il en est entre le point d’entrée du client et son point de sortie, avec tous les flux ». J’attends toujours sa démonstration.
Il y a une fable de La Fontaine que j’aime beaucoup, « Le laboureur et ses enfants ». Je vous la recommande. Dans cette fable il nous est dit que « le travail est un trésor ». L’épargne, le fruit du travail, en est un autre. Personnellement, et cela a été le fil conducteur de ma carrière de journaliste financier, je vis mal que des rapaces « se paient sur la bête », si vous permettez cette trivialité, c’est-à-dire détournent à leur profit de l’argent qui a été durement gagné. Je salue ici les conseillers bancaires et immobiliers qui ont ce respect du client, j’en ai connu beaucoup. Malheureusement, comme les poissons volants, ils ne constituent pas la majorité de l’espèce.
Restons positifs
Guy Marty : Au final, quels conseils donnez-vous pour faire de bons placements, financiers, immobiliers ou autres ? Quels sont les choix judicieux ?
Jean-Denis Errard : Comme dans tous les domaines il faut commencer par apprendre un minimum de choses pour comprendre. L’apprentissage est incontournable, en finance, comme en cuisine, en jardinage, en mécanique ou autre… On revient toujours à la formation. Mon livre est fait pour y aider. Il explique, à l’aide d’un quizz de questions-réponses, ce qu’est un « bon » conseiller. La Fontaine a écrit une amusante fable, « Le Singe et le Dauphin », au sujet des imposteurs. C’est-à-dire de ceux qui se font passer pour ce qu’ils ne sont pas.
Quant à savoir ce qu’est un bon placement ou un bon patrimoine, c’est celui qui vous correspond. A vous, pas au voisin, compte tenu de votre situation. Le conseil donné par la fable « Le chêne et le Roseau » est de ce point de vue très utile. L’achat de la résidence principale est sans doute l’objectif premier. Il est important aussi de mettre de l’argent de côté pour les imprévus. Pour le long terme je conseille de se constituer un portefeuille diversifié. Pour la retraite et compléter ses revenus, rien de tel que des SCPI et une assurance vie.
Jean-Denis Errard est journaliste depuis 1980, spécialisé sur les sujets d’épargne et de fiscalité des particuliers. Il a fait toute sa carrière dans la presse financière. Il a été rédacteur en chef de plusieurs journaux patrimoniaux (Le Revenu, La Vie française, Le Particulier, Gestion de Fortune) et chroniqueur à Les Échos weekend, à Investir ainsi qu’à France Info.
Voir aussi
(1) Jean-Denis Errard, L’anti-manuel de l’épargnant, D’après les Fables de La Fontaine, Enrickb Éditions, illustrations de Audrey Duquesne