Annoncé le 16 décembre dernier, le projet de cession de Klépierre à un consortium mené par Carrefour d’un portefeuille immobilier de 2Mds€ (127 galeries commerciales attenantes à des hypermarchés Carrefour situées en France, en Espagne et en Italie, généralement en périphérie urbaine) a mis en évidence un revirement dans la stratégie du distributeur concernant son parc immobilier (pour mémoire, Carrefour avait vendu ces actifs à Klépierre à travers un accord significatif signé en juillet 2000). Carrefour est content de cette transaction et cite de nombreuses raisons « stratégiques » pour étayer cette décision tandis que Klépierre est heureux de se séparer d’actifs de petites tailles. Alors qui est perdant ? Essentiellement le contribuable et la visibilité sur Carrefour puisque l’accroissement des risques est en fait caché.
Carrefour détiendra 42% d’une nouvelle foncière (avec recours à l’effet de levier) en payant en nature sa part dans l’achat des actifs de Klépierre, i.e. avec 45 centres commerciaux que le distributeur possède actuellement en propre. Cela revient à déconsolider des actifs immobiliers et à échanger des murs contre des actifs financiers.
La décision de Carrefour qui a conduit à cette transaction à effet de levier et « déconsolidante » reflète une vision divergente du distributeur et de Klépierre. Ces actifs de petites et moyennes tailles (3 747 m² en moyenne) n’étaient pas réellement stratégiques pour Klépierre qui se concentre désormais davantage sur les grands actifs affichant de meilleures performances (les actifs « jumbo » dans le langage d’Unibail-rodamco attirent plus de 6 millions de visiteurs par an). Carrefour, à l’inverse, doit entretenir et améliorer ces galeries commerciales pour soutenir l’attractivité de ses surfaces de distribution alimentaire. Casino, à travers sa foncière Mercialys que le groupe détient à 40%, a parfaitement réussi à mettre en œuvre cette stratégie même si cela n’a pas empêché Mercialys de vendre les plus petits actifs au cours de la période 2012-2013.
Ce retournement de stratégie de propriété peut également être observé dans le secteur hôtelier : Accor a dévoilé début décembre sa nouvelle stratégie immobilière qui consiste à accroitre le nombre d’hôtels détenus en propre alors que la tendance dans le secteur était plutôt orientée vers des business model qui externalisaient la propriété immobilière.
Il a une bonne raison de (re)devenir propriétaire-exploitant de ces centres commerciaux : la vitesse des ajustements. En effet les changements actuels dans les modes de consommation (internet représente une part de marché d’environ 9% de la distribution en France contre environ 13% en Grande-Bretagne et plus de 20% attendus en 2020) poussent les distributeurs et les propriétaires immobiliers à revoir leur stratégie. Les distributeurs doivent combiner leurs offres avec des services en ligne tandis que les foncières doivent créer un environnement destiné à attirer toujours davantage de clients à travers des services premium, des événements, des offres de loisirs… Dans ce contexte, le taux d’effort (calculé comme un ratio du loyer sur le chiffre d’affaires du locataire) pourrait devenir un indicateur obsolète si les surfaces des distributeurs devaient devenir uniquement des « showrooms ». Dans tous les cas, les taux d’effort sont orientés à la hausse (d’environ 10% en 2008 à environ 12% à mi-2013 à travers le secteur immobilier de commerce européen) et la question est évidemment si de tels taux sont soutenables…
Les risques liés à ces changement de stratégie impliquent évidemment des ajustements en termes de valorisation pour les distributeurs (voir l’échec de la stratégie de Carrefour Planet qui a pesé sur le cours avant la nomination de Georges Plassat ) comme pour les foncières (voir les difficultés que rencontrent Corio pour recentrer son portefeuille immobilier sur ses meilleurs actifs).
Les logiques Opco/Propco ne sont pour autant pas abandonnées. La future possible cotation de la nouvelle foncière créée par Carrefour bénéficierait du statut de transparence fiscale français (Carrefour doit détenir moins de 60% de cette entité pour avoir droit à ce statut). Carrefour a ainsi trouvé dans cette transaction un moyen d’améliorer le contrôle opérationnel de ses galeries, d’alléger son bilan consolidé, d’injecter un effet de levier dans ses actifs immobiliers, de diminuer son coût du capital, de prendre le meilleur des mécanismes d’exemptions fiscales et de potentiellement gagner en valorisation si la cotation est un succès. De son côté, Klépierre a gagné une base d’actifs plus cohérente. Si tout le monde est gagnant, qui sont les perdants ? Le contribuable et les risques accrus pour les actionnaires de Carrefour en termes de visibilité et de gearing : le levier économique a augmenté (davantage de dette, probablement davantage de collatéraux, et davantage de minoritaires).
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