Jean-Christophe Antoine, le président d’Atland Voisin, vient de publier une série d’articles sur la thématique du télétravail. Objectif : démontrer que si le télétravail est une tendance de fonds, il ne s’imposera pas de manière systématique en quelques mois. Et que les bureaux « physiques » ont encore bien des atouts à faire valoir. Interview.
De plus en plus d’observateurs considèrent que le télétravail va se généraliser, et que les entreprises vont y avoir recours de manière massive. Vous ne croyez pas à ce développement. En tout cas, pas au rythme auquel certains s’attendent aujourd’hui. Avec quels arguments ?
Jean-Christophe Antoine – Au-delà du débat télétravail versus travail au bureau, ce confinement a amené les Français à se poser des questions sur le sens du travail. Est-ce que le travail, c’est la vie ? Les entreprises doivent donc répondre à cette question fondamentale : la raison d’être du travail. Qu’on le pratique au bureau, ou en télétravail, les fondamentaux doivent être réunis pour que les salariés trouvent un sens à leur travail. Les entreprises doivent se poser des questions sur leur mode de management. Car les fondamentaux, ce sont la qualité des équipes, la vision, les missions de l’entreprise, la capacité à s’organiser, à prendre des décisions importantes de manière collective. Et à les faire comprendre et mettre en œuvre. Si l’entreprise n’applique pas ces règles, le salarié n’a pas forcément envie de revenir. On voit d’ailleurs la réticence de certains d’entre eux à retourner au bureau.
C’est donc à l’entreprise de clarifier les choses ?
Jean-Christophe Antoine – Il faut effectivement du souffle et des perspectives. Et qu’une stratégie claire soit donnée par l’entreprise. Par ailleurs, il faut aussi rappeler que la présence au bureau, c’est important. C’est aussi une mixité de personnes qui apportent leur pierre à l’édifice. Il y a des personnes plus âgées, avec de l’expérience. Il y a des personnes plus jeunes, qui apportent leur productivité par les nouvelles technologies. C’est dans cet échange que se construit l’entreprise. La transmission du savoir et de la connaissance, c’est aussi la richesse de l’entreprise. Et cela se fait au sein d’un lieu unique. Parce que l’on a des rencontres informelles. Parce que la formation se fait à travers différentes réunions -que l’on peut juger inutiles, mais qui sont aussi un cadre de formation-. Ces éléments doivent être pris en compte dans le débat sur le télétravail….
Vous donnez aussi des chiffres qui attestent de l’attachement des salariés pour leurs bureaux…
Jean-Christophe Antoine – Ce sont des chiffres issus d’une enquête Activeo de 2019. Ils établissent que 80% des actifs se disaient satisfaits par leurs bureaux, jugés adaptés à leurs besoins. 85% des répondants se disaient très satisfaits de la qualité des interactions sur leur lieu de travail. Les plus jeunes étaient d’ailleurs encore plus sensibles à l’aspect social de la vie de bureau. Sur la problématique du trajet domicile/travail, 80% des personnes interrogées se disaient satisfaites. Ce pourcentage global -sur la France entière- est naturellement moins élevé sur la seule région Ile-de-France. L’étude constate également que 66% des répondants travaillaient dans des bureaux individuels. Et que seulement 12 % des postes étaient en open-space.
On peut supposer que, effectivement, ces chiffres ont pu évoluer depuis le confinement. Mais il y a un autre élément avancé par les tenants d’une généralisation du télétravail : le poste coût immobilier. Si on réduit les surfaces, si on réduit éventuellement les loyers, cela fait moins de charges pour l’entreprise. Mais vous dites que, là encore, les directions financières des entreprises, quand elles font leurs calculs, ne s’y retrouvent pas forcément ?
Jean-Christophe Antoine – C’est une étude qui a été faite par McKinsey, qui s’appuyait sur les chiffres de Gartner Group. 53% des directeurs financiers interrogés estimaient que le télétravail ne concernerait qu’entre 0% et 5% des effectifs. 25% tablaient sur 10%. Et 17% seulement pensaient que ce pourcentage pourrait aller jusqu’à 20%. Donc, avec 80% des sondés qui estiment le télétravail entre 5% et 20% des effectifs, ce n’est pas la mort du bureau ! Ce n’est bien sûr qu’une approche financière. Mais la problématique du télétravail est aussi « réglementaire ». Car le télétravail n’a ni cadre, ni périmètre.
C’est-à-dire ?
Jean-Christophe Antoine – Le confinement a permis de voir que les salariés, chez eux, ne disposaient pas nécessairement d’un espace dédié et adapté. Et les entreprises vont bien devoir, à un moment ou à un autre, se saisir du sujet. Elles devront aussi indemniser leurs salariés. Pour financer leur accès internet. Ou régler une partie de leur facture d’électricité. Autre problème à gérer : celui de la sécurité, informatique notamment. Tout cela peut se gérer. Mais ce ne sera pas si simple. Les négociations, par exemple avec les syndicats sur le télétravail, ne vont pas être faciles.
En fait, ce qui menace davantage les bureaux dans les prochains mois, ce n’est pas tant la généralisation du télétravail que l’impact de la crise économique. Cette classe d’actif est pourtant présentée comme l’une des plus résiliente. Cette promesse sera-t-elle tenue ?
Jean-Christophe Antoine – Le télétravail s’ajoute effectivement à d’autres facteurs plus inquiétants. Je suis pour ma part persuadé que le bureau ne disparaitra pas. Mais la crise qui s’annonce peut le faire souffrir. Le gel des investissements, ou les plans d’économies, qui vont sans doute se mettre en place, auront un impact sur l’ensemble de l’économie. Le marché immobilier, certes, est équilibré, grâce à un faible taux de vacance. Mais il est certain que ce taux va remonter. Que certaines sociétés risquent de réduire leurs surfaces. Qu’il peut y avoir des défaillances d’entreprises. Et que les relocations seront un peu plus délicates. Il y aura donc une correction des valeurs locatives. Mais il y aura aussi une reprise. Au moins en 2021. Reste à savoir si la vigueur de cette reprise suffira à compenser les pertes subies en 2020…
Est-ce que les grands investisseurs sont mieux armés pour affronter cette crise ? Ces tendances que l’on évoquait -télétravail, bâtiments durables, …- étaient déjà à l’œuvre début 2020. Les investisseurs institutionnels s’y sont donc préparés…
Jean-Christophe Antoine – Très clairement, je pense que des sociétés comme la nôtre sont effectivement mieux préparées. Pour ma part, ça fait plus de 32 ans que je « vis » l’immobilier. Atland Voisin est présent sur le marché immobilier depuis 50 ans. Le fait de disposer de patrimoines importants nous permet également de pouvoir communiquer de manière systématique avec un grand nombre de locataires. Donc de devancer leurs attentes. Des démarches, sur la qualité des immeubles, les approches RSE, ont été initiées bien avant la crise. Aujourd’hui, les locataires ont besoin de réassurance. Et cela, les bailleurs l’ont bien compris. Ils s’engagent sur les trois piliers que sont l’environnement, le social, et la responsabilité sociétale. Ce sont des thématiques qui parlent aux entreprises. Et qu’elles peuvent utiliser comme vecteur de communication envers leurs salariés. Pour les rassurer sur le fait que les lieux où ils travaillent sont agréables et sans risque…
Et également des lieux « flexibles ». Jean-Christophe Antoine, merci.
Propos recueillis par Frédéric Tixier
Lire les 3 chroniques de Jean-Christophe Antoine sur le télétravail
1 -Du télétravail #1: au risque de gâcher la fête, non, les bureaux ne vont pas disparaître !
2- Du télétravail #2 : le tout (les bureaux) est plus que la somme des parties (les m²)
3- Du télétravail #3 : l’immobilier et les SCPI sauront s’y adapter
Sur le même sujetL’impact du télétravail sur le marché des bureaux, par Guy Marty
A propos d’Atland Voisin(i)
Pionnier en matière de placement immobilier collectif, avec la création d’Immo Placement dès 1968, Atland Voisin gère plusieurs SCPI en immobilier d’entreprise qui représentaient un patrimoine de près de 1,5 Mds € pour le compte de 23 000 associés environ au 31/12/2019. Son développement se poursuit en 2019 avec une collecte de près de 500 M€. Atland Voisin est filiale de Foncière Atland, société d’investissement immobilier cotée.
(i) Information extraite d’un document officiel de la société