Mise à jour 20 juin 2023, sur la question du logement. Cet article a été écrit au moment de la nomination d’Emmanuelle Wargon comme ministre du logement. Cela peut nous sembler loin ! Mais si les ministres se succèdent, la situation demeure…
Et voilà, nous avons un nouveau, ou plutôt une nouvelle ministre !
Le logement fait aujourd’hui l’objet de questions ou d’angoisses contradictoires.
- Pour bien des Français jeunes ou moins jeunes, les loyers sont élevés, et les prix sont inaccessibles. Il faudrait qu’ils baissent !
- Pour ceux qui sont propriétaires, dont certains depuis peu, toute baisse serait problématique voire catastrophique.
Dans ce contexte, il est utile de se demander comment nous en sommes arrivés là, et quelle devrait être la politique en la matière.
La toute nouvelle ministre en charge du logement, Emmanuelle Wargon, est une personne de qualité, nul n’en doute. Mais c’est la 10ème en vingt ans ! Et d’ailleurs la 28ème en cinquante ans ! À peine deux ans par ministre.
Sommaire
Comment de décide la politique du logement Le logement s’inscrit dans le temps long Connaitre les tendances démographiques |
Comment se décide la politique du logement
L’immobilier est au carrefour de nombreux aspects de la vie économique et sociale. Cela se traduit dans les nombreuses attributions des ministres qui se sont succédé.
Ainsi le logement de la nouvelle ministre Emmanuelle Wargon, depuis le 6 juillet 2020, est-il rattaché au ministère de la transition écologique. Pour son prédécesseur, c’était la ville. Encore avant, c’était la cohésion des territoires.
Voici la liste pour les seules vingt dernières années, soit en rattachement, soit dans la même fonction, en remontant dans le temps.
- Ville
- Cohésion des territoires
- Habitat durable
- Égalité des territoires et ruralité
- Écologie, développement durable et transports
- Urbanisme
- Emploi et cohésion sociale
- Équipement, transports, tourisme et mer
Et aujourd’hui, donc, Transition écologique.
Un peu moins de deux ans pour les titulaires du poste, à peine un peu plus de deux pour les organigrammes…
Le logement s’inscrit dans le temps long
Pour les professionnels…
Entre le moment où un promoteur commence ce qu’on appelle le terrassement, autrement dit les tout premiers travaux pour adapter un terrain, et la livraison finale de la construction, il faut compter environ deux ans. Mais auparavant, il a fallu acheter le terrain et obtenir le permis de construire. Au total environ trois ans, s’il n’y a pas de recours qui retardent l’obtention du permis. C’est la raison pour laquelle les professionnels, de par leur expérience, disent qu’il faut compter en moyenne entre trois et quatre ans entre le moment où ils repèrent un terrain et celui où des acheteurs ou locataires peuvent emménager.
…et pour les particuliers
Quand une famille envisage l’achat de son habitation, le projet se prépare longuement à l’avance. De l’épargne souvent, puis bien des réflexions et des discussions sur l’endroit, le bien exact, si possible pas trop cher, l’aménagement, les travaux éventuels, comment seront partagées et décorées les pièces. Et le crédit ! Des démarches, des dossiers. Le plus souvent, on s’endette pour vingt ou vingt- cinq ans. Et s’il s’agit d’un déménagement et d’un deuxième achat, il faut en plus organiser la vente de l’habitation actuelle, cela aussi prend du temps.
Près de 3 millions de personnes changent de domicile chaque année. En rapportant ce chiffre aux 67 millions que nous sommes, cela ferait vingt-deux ans en moyenne au même endroit. Les statisticiens disent que nous déménageons en moyenne 4,6 fois dans une vie, en excluant la période étudiante. On serait alors plus proches de dix-huit ans. En conciliant ces deux sources, l’industrie du déménagement et l’INSEE, il apparait que l’on reste environ vingt ans dans le même appartement ou la même maison.
Il en est de même pour l’investissement. Si l’on décide d’acheter un appartement pour le mettre en location, la décision n’est pas prise à la légère. Elle engage de nombreuses années. Quinze ans, vingt ans ou plus.
Autre éclairage, en moyenne il s’échange en France chaque année environ 3 % de biens immobiliers – résidences principales, résidences secondaires et biens mis en location. Donc la détention immobilière, le temps moyen entre l’achat et la vente, est d’un peu plus de trente ans.
Et le ou la ministre du logement dépasse rarement deux ans…
Pourquoi la hausse des prix ?
La réponse est malheureusement bien connue. Il n’y en a pas assez là où les gens veulent habiter. Là où il y a du travail, donc dans ce que les économistes appellent les bassins d’emplois. Essentiellement les villes de grande ou moyenne importance. Et là, ils voudraient habiter pas trop loin de leur travail. Ainsi la demande se concentre sur les mêmes localisations, ce qui provoque des loyers élevés. Dans certaines villes, dans certains quartiers, et pas seulement à Paris, les prix en euros donnent le vertige.
Le logement cher est, ni plus ni moins, un phénomène de rareté. Un retard de l’offre sur la demande. Lorsqu’un jour on demanda à Enzo Ferrari combien il fallait construire de voitures, il répondit : « la demande, moins une ». Méthode merveilleuse pour un constructeur qui veut vendre ses voitures le plus cher possible. Mais catastrophique pour l’immobilier.
Il faut reconnaître qu’aujourd’hui, en 2020, nous avons assez de logements… pour 2018 ! Le décalage permanent entre l’offre et la demande dans ce secteur est la malédiction française depuis des décennies. Avec comme conséquence des hausses de prix « merveilleuses » pour les statistiques sur les performances des placements, et réjouissantes pour les propriétaires, anciens ou récents… mais il ne faut pas chercher ailleurs que dans ce retard de l’offre sur la demande, le poids du loyer dans le budget des ménages.
Les prix et les loyers ne sont que le thermomètre.
Si la température est trop haute, cela veut dire que le marché est bien malade.
Surtout, on aboutit à un phénomène de « corner ». Le mot est bien connu au football, mais les financiers aussi l’utilisent. Pour eux il signifie qu’on est « coincé » : en cas de vente, on perd de l’argent, et si on ne vend pas on en perdra encore plus. Bref, quoi qu’on fasse… on est perdant.
Or que se passe-t-il aujourd’hui ?
- Pour les 42 % de Français qui sont locataires, le loyer est souvent devenu une charge trop importante dans le budget. Et pour ceux d’entre eux qui aimeraient échapper aux loyers et envisager un achat, ce qui est à vendre est trop cher.
- À l’inverse, toute baisse serait un coup porté aux propriétaires. Même un coup dur pour les propriétaires récents, ceux qui sont encore en train de rembourser leurs crédits.
Depuis une vingtaine d’années, notre pays est en situation de « corner » immobilier. Au début, il était encore possible de s’en sortir sans trop de souffrances des uns ou des autres. Mais plus le temps passe, plus il est difficile de résoudre le corner sans créer des dégâts.
Pendant ces vingt ans, dix ministres du logement se sont succédé…
Connaitre les tendances démographiques
Comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi les logements sont-ils si chers ? Pourquoi la hausse des prix n’a pas sonné l’alerte, et conduit à des mesures importantes pour résoudre la rareté dans ce secteur si important ?
La réponse est malheureusement bien connue. Pas de vision à long terme !
Voici un exemple juste assez ancien pour ne froisser personne. Dans les années quatre-vingt-dix, l’INSEE avait annoncé une très forte augmentation du nombre de jeunes couples entre 2000 et 2004. Pas de mystère, il suffisait de suivre les courbes démographiques. Si on observe des naissances a un moment donné, on sait que vingt ou vingt-cinq ans plus tard les enfants quitteront leurs parents.
Pourtant, au début des années deux mille, on fut pris par surprise. Alerte, tensions sur le marché, pas assez de logements, pas assez d’offre, les prix montent déraisonnablement !
Évidemment, si un ministère ne s’occupe que des grands sujets du jour, ce qui se passera dans cinq ou dix ans ne l’intéresse pas… Et c’est ainsi que de décennie en décennie les problèmes du secteur immobilier s’épaississent au lieu de se résoudre.
Prenons les choses à l’endroit
La demande d’appartements ou de maisons suit des tendances longues. Elle reflète l’évolution de la population, sa structure en âge. Elle reflète aussi les dynamiques régionales, et par villes. Pour des questions d’emploi, de qualité de vie ou de changement de région à l’occasion de la retraite. Or nous avons en France d’excellents démographes. L’INED (Institut National des Études Démographiques) est un organisme à raison respecté. Nous avons aussi avec l’INSEE des travaux de prévisions de grande qualité.
Si l’on compare les prévisions de l’INSEE avec ce qui s’est passé, on s’aperçoit que ces prévisions méritent d’être lues au moment où elles sont publiées. Il suffit par exemple de regarder les travaux du début des années deux mille sur les dynamiques des régions et des villes… pour pleurer !
Les tensions sur les marchés des appartements et des maisons, aujourd’hui, ne devraient pas avoir lieu. Les tendances de population selon les territoires étaient assez bien dessinées, largement à l’avance.
Mais voilà, il faudrait que quelqu’un, dans notre beau pays, réfléchisse à long terme. C’est en principe le rôle du politique. Si ce n’est pas le ministère du logement, qui le fera ?
Le problème du logement est complexe
La question du l’habitat est imbriquée dans de nombreux sujets connexes.
- Les territoires, ceux qui sont prospères et ceux qui sont en perdition, avec les questions aussi de ruralité
- Les villes et leur dynamisme, les emplois qu’on peut y trouver, ainsi que tout ce qu’il faut de crèches, d’écoles, d’universités, d’hôpitaux, d’espaces verts, de lieux de loisirs…
- Les quartiers, avec les critères propres d’éloignement ou non du centre-ville, de sécurité, de commerces et structures sur place.
- La construction, là où sont les emplois.
- Le financement de la construction, public ou privé.
- La qualité des habitations, pour le bien-être mais aussi au regard des consommations énergétiques.
- Le niveau de revenus, qui permet ou non l’accès à l’appartement ou à la maison dont on aurait besoin. Par la location ou par l’achat.
- Les transports.
- Et j’en oublie probablement.
De ce fait, un ministère du logement peut s’adjoindre des étiquettes relatives à la construction, à l’habitat durable, à la transition énergétique, à la ville ou à la « cohésion » des territoires. La vérité est qu’il est confronté à une multitude de sujets, tous imbriqués les uns dans les autres.
Sans oublier le sujet politiquement incorrect : le financement. L’État ? Il a d’autres affaires qui frappent bruyamment à sa porte. Les organismes sociaux ? Dans une certaine mesure, mais ce ne sera jamais suffisant. L’épargne privée, le fameux « investissement locatif », ou les institutionnels, qui mettent l’essentiel de leur argent ailleurs ? Mais alors il faudrait une attitude cohérente, stable, qui ne change pas à chaque nouveau ministre.
De l’économique au social
De plus, faute d’avoir eu dans le passé une politique du logement à long terme, on se retrouve en France dans une situation assez étrange. Le logement, trop cher, est passé dans une large mesure de l’économique au social. Plus que chez nos voisins, il faut corriger les excès en construisant de plus en plus de logements sociaux, qui permettent des loyers moins chers, adaptés au niveau de revenus. En fait des habitations « hors marché », qui devraient plutôt être dans la mission des Affaires sociales, mais celles-ci seraient alors débordées par l’immensité de la tâche.
En arrivant au poste de ministre chargée du logement…
…Emmanuelle Wargon se trouve face à une situation extrêmement complexe. Dont les conséquences pudiquement appelées sociales, concrètement les conditions de vie de nombreuses familles, sont très lourdes.
Sans oublier les nuisances économiques. Un exemple parmi cent autres. Un jeune français qui reçoit le même salaire qu’un allemand, un italien ou un hollandais de son âge, a un niveau de vie inférieur d’un tiers par le niveau de son loyer et le temps de transport qui lui est imposé… non, le dérapage des prix n’est pas neutre pour la compétitivité économique. Il semble que nos politiques ne réalisent pas l’impact négatif que l’immobilier peut avoir, quand il est trop cher, sur l’économie.
Une vision à long terme
La transition écologique est un véritable enjeu de long terme. Il faut aller dans cette direction.
Mais il y a aussi l’héritage. De ministre en ministre, au fur et à mesure des années, les politiques menées à court terme n’ont pas empêché l’imbrication des sujets de se resserrer jusqu’à l’inextricable. Un problème qui ne présente pas de solution apparente s’appelle un nœud gordien. Alexandre le Grand a montré la seule solution possible quand on ne peut plus le dénouer : le trancher.
Que se passerait-il si, soudain, on se hissait au-dessus des problèmes du jour et regardait en avant, dans dix, quinze, vingt ans ? Si dans chaque bureau du ministère du logement était affiché une carte avec les projections de population, par région, et dans certains cas par ville ? Que se passerait-il si, après avoir fixé les objectifs, on examinait sérieusement les besoins réels en financement au cours des prochaines années, et si on réfléchissait à une mobilisation de l’épargne, privée et institutionnelle, à hauteur des besoins dans ce secteur ? Si l’on mettait à profit cette formidable opportunité, véritablement historique pour l’immobilier, que sont les taux bas ?
On ne gère pas un naufrage. Il n’y a pas d’autre solution aujourd’hui que de penser à long terme. Et de chercher, plutôt que du très visible à court terme, des résultats réels dans le temps.
Espérons qu’Emmanuelle Wargon ne mettra pas deux ans, le temps dont elle dispose peut-être avant qu’un nouveau ou une nouvelle ministre lui succède, pour comprendre combien son action pourrait être décisive. Pour notre bonheur à tous.
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