Inflation, taux d’intérêt, Suwalki… Trois « corridors » dont les débouchés incertains pèsent sur l’économie mondiale. Avec quels espoirs d’issues positives ? Analyse et point de vue de Rémy Bourgeon, président d’Alderan.
Alors que nous sortons péniblement de deux ans de crise sanitaire (une grande vigilance doit rester de mise), de nouveaux nuages se sont levés à l’Est, accentuant des tendances économiques plutôt défavorables. Trois corridors s’ouvrent devant nous, dont les débouchés sont encore pleins d’incertitudes : le corridor de l’inflation, celui des taux d’intérêt et, en matière géostratégique, le corridor de Suwalki.
Le corridor de l’inflation
Tout un chacun a pu observer la lente mais inexorable montée de l’inflation depuis l’an dernier, puisqu’en zone euro, malgré les efforts de la BCE, elle dépasse aujourd’hui largement les 5% (5,8% en février 2022 et plus de 4% en France qui résiste encore, notamment au regard de ce qui se passe en Allemagne.)
Ce graphique, établi par Eurostat, démontre le poids de l’évolution des prix de l’énergie. En décembre dernier, il ne prenait pas en compte, évidemment, la guerre en Ukraine déclenchée le 24 février dernier. On a déjà pu constater son effet dévastateur sur le pouvoir d’achat des Européens au sens large et de nos compatriotes en particulier. L’Union européenne n’est pas encore prête pour changer ses modes d’approvisionnement à très court terme, et donc, inexorablement on peut s’attendre à une aggravation de l’inflation en zone euro. Si celle-ci reste maîtrisée (ce à quoi s’emploient les banques centrales occidentales), cela peut être bénéfique. Car l’inflation permettra de limiter le poids des dettes publiques, d’améliorer les salaires et les rendements des investissements réalisés. A contrario, une dérive inflationniste engendrera des mouvements plus erratiques sur les marchés et fragilisera à terme l’épargne placée.
Le corridor des taux d’intérêt
Parallèlement, en raison même de cette inflation progressive aggravée par la crise ukrainienne, la politique des taux d’intérêt en Europe sera probablement celle d’un maintien des taux à un niveau inférieur au taux de croissance (en France, par exemple, autour de 1% pour le taux d’intérêt à dix ans, contre 3,5% pour la croissance en valeur de long terme). Plusieurs raisons militent en faveur de cette politique de maintien des taux bas. En premier lieu, les taux à long terme ont déjà beaucoup augmenté (de -0,4% à +0,2% en Allemagne, et de -0,1% à +0,7% en France pour les taux d’intérêt à 10 ans). En second lieu, la BCE va arrêter l’afflux de liquidités (Quantitative Easing) mais pas le réduire, sans trop d’incidences sur le taux d’intérêt long terme. Ensuite, la BCE va devoir éviter une crise des dettes publiques, ce qui ne peut ? vraiment ? ou : « ce qui peut » ? quelque chose semble illogique la conduire à une hausse des taux à court terme, malgré une inflation plus importante que prévue, mais dont la BCE prédit un retour aux alentours de 3% en fin d’année. Le débouché de ce corridor pourrait donc être vertueux, tout comme celui d’une inflation qui serait maîtrisée.
Le corridor de Suwalki
Reste l’inconnue géostratégique qui peut, au contraire, bouleverser cet optimisme mesuré. Si l’on admet que le dessein de Vladimir Poutine est de reconstituer un territoire russe similaire à celui de la Russie tsariste, à défaut du glacis soviétique et du Pacte de Varsovie, il faut alors analyser le risque que constitue le corridor de Suwalki, étroite zone (65 km) permettant le seul passage terrestre entre la Pologne et la Lituanie, mais isolant l’enclave russe de Kaliningrad de la Biélorussie. La carte ci-dessous est suffisamment parlante…
Si la Russie atteint ses objectifs en Ukraine (annexions définitives de la Crimée et du Donbass, neutralisation et vassalisation du reste de l’Ukraine à l’instar de ce qui existe en Biélorussie), la Moldavie (non protégée par l’OTAN, tout comme l’Ukraine) sera sans doute l’objectif suivant. Au Nord subsisterait alors ce point fragile de passage entre la Pologne et les Etats Baltes. Il est clair qu’une volonté russe de réunir l’enclave russe de Kaliningrad au « nouvel empire poutinien » isolerait les Etats Baltes qui ne seraient plus accessibles que par voie maritime. Ces Etats sont certes sous protection de l’OTAN (ce qui est leur plus grande sécurité actuelle), mais ferait-on la guerre pour Vilnius, Riga ou Tallinn si ces pays étaient envahis à leur tour ? Question cruciale qui, espérons-le, ne se posera pas, mais qui doit être anticipée.
Le pire n’est heureusement jamais certain
Le pire n’est heureusement jamais certain. Ce survol très rapide des enjeux résumés par cette image d’un syndrome des corridors doit inciter à une solidarité sans faille envers les pays fragilisés (ou « fragilisables ») par l’agression russe, à une lucidité envers ce nouvel impérialisme territorial et à une fermeté en cas de dérive aggravée. Même si cela doit nous obliger à sortir de notre confort de vie actuel…
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A propos de Rémy Bourgeon
Rémy Bourgeon est président fondateur de la société de gestion Alderan (gestionnaire de la SCPI Activ’Immo), et de la foncière Ojirel. Auparavant, il a occupé diverses fonctions dans de grands groupes immobiliers, comme Bouygues Immobilier et Cogedim. Il a été directeur immobilier du groupe Novalliance (transport et logistique) et directeur du développement de Garonor (plateforme logistique). Rémy Bourgeon est diplômé de Sciences Po et d’HEC, et titulaire d’une maîtrise de droit des affaires.