Jean-Marc Coly, directeur général d’Amundi Immobilier, est l’invité de l’émission « Les acteurs de la pierre-papier ». Sujets du jour : comment la classe d’actif immobilier se comporterait en cas de remontée des taux, quelle est aujourd’hui la stratégie d’investissement du leader des véhicules collectifs en immobilier non cotés, et ses dernières innovations et réflexions en matière de produits…
Jean-Marc Coly, je rappelle que vous êtes notaire de formation, que vous avez passé vingt ans dans la filiale gestion immobilière de La Française, et que vous dirigez Amundi Immobilier depuis 2015. Alors, vous qui avez connu le temps où les SCPI atteignaient à peine quelques millions d’euros de capitalisation, expliquez-nous comment sont gérées aujourd’hui les SCPI « paquebot » qui, à l’instar d’Edissimo chez Amundi Immobilier, pèsent plus de 3 milliards d’euros…
Jean-Marc Coly – Il n’y a pas tant d’écart que cela entre les types de gestion mis en œuvre entre « petites » et « grosses » SCPI. En réalité, il faut toujours apporter autant d’attention à ses immeubles et à ses locataires si on veut de la performance. La taille pour la taille n’est pas un but en soi. La taille donne des moyens complémentaires. Des moyens humains, bien sûr : plus on a des moyens humains, plus l’on a de compétences spécialisées sur de multiples domaines, et plus l’on peut favoriser la qualité de performance de nos produits. La taille donne aussi une meilleure visibilité sur le marché. Le fait d’être « gros » sur un secteur où les opportunités d’investissement sont dures à trouver nous permet de recevoir, en provenance d’acteurs européens, un certain nombre de dossiers auxquels les SCPI de plus petite taille n’ont pas forcément accès. La taille nous assure, enfin, une meilleure visibilité et la capacité de passer des partenariats qui nous permettent d’être encore plus efficaces sur certains marchés où nous ne sommes pas nécessairement les plus compétents. Comme par exemple acheter des commerces aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Finlande… Donc, ce n’est pas la taille pour la taille, la taille n’impacte pas nécessairement la stratégie de gestion, mais la taille nous donne un certain nombre de petits avantages qui nous permettent de générer une performance plus mutualisée, et donc plus sûre pour nos clients.
Rappelez-nous combien pèse Amundi Immobilier aujourd’hui ?
Jean-Marc Coly – Amundi Immobilier, c’est environ de 33 à 34 milliards d’euros d’actifs gérés, à peu près pour moitié pour des investisseurs privés et institutionnels.
Revenons sur le style de gestion d’Amundi. Votre créneau, si j’ai bien compris, c’est plus la gestion du risque que la recherche du rendement. Cela veut dire quoi, en pratique ?
Jean-Marc Coly – Cela veut dire, d’abord, qu’Amundi appartient à un groupe bancaire, où la notion du risque, et du risque pour le client, est un élément important. Quand ils regardent les produits immobiliers que nous fabriquons, nos actionnaires et nos clients – puisqu’au final, nos clients sont nos actionnaires -, nous demandent de veiller à deux choses.
Premièrement, de produire une performance, pas nécessairement la plus élevée, mais la plus durable. Autrement dit, de ne pas créer de déception dans la performance des actifs que nous gérons, dans le temps. Nous nous sommes fixé une règle qui est de viser une performance qui soit toujours de 250 à 300 points de base au-dessus des taux longs. Cette règle permet de s’adapter à l’évolution des taux, et de visualiser la vraie prime de risque que viennent chercher nos clients en investissant dans l’immobilier. Donc, on ne nous trouvera pas en haut des tableaux de performances, on ne nous trouvera pas non plus en bas des tableaux de performances, on nous trouvera surtout dans le milieu, avec l’ambition d’y rester, et d’y rester durablement.
Deuxième contrainte, ou ambition : la gestion de la liquidité. Les « jeunes » qui travaillent dans ce métier ne le savent pas nécessairement, mais il arrivera nécessairement, un jour, où se posera, non pas un problème de liquidité, mais une question de liquidité. Depuis un certain nombre d’années, des sommes importantes se sont déversées sur les produits immobiliers non cotés. Les investisseurs voudront, un jour, en sortir. Il faudra alors être en mesure d’assurer la liquidité nécessaire à la bonne gestion de ces retraits. La liquidité, on la sert déjà, bien sûr, au travers la distribution : le poids et l’importance des réseaux qui nous accompagnent assureront donc en partie cette liquidité. Mais cette liquidité sera aussi et surtout confortée par la nature des actifs que nous détenons et notre capacité à les vendre, si besoin était. Cette recherche d’une performance la plus durable possible, et une attention particulière portée à la liquidité, c’est ce qui fait notre style de gestion.
Quelles en sont les conséquences en termes de stratégie, d’acquisition notamment ?
Jean-Marc Coly – Ces objectifs guident bien sûr toute notre politique d’investissement. Pour produire cette performance durable, la première tactique consiste à n’acheter que des actifs « core ». Parce que l’on pense que ces actifs, de qualité, bien situés, sont ceux qui souffriront le moins en cas de crise, et qu’ils se comporteront également mieux dans des marchés haussiers. Revers de la médaille : ces actifs, aujourd’hui, génèrent à l’achat un rendement assez faible. Pour augmenter la rentabilité de nos portefeuilles, nous avons donc recours à d’autres sources de performance. On utilise, par exemple, l’effet de levier du crédit, dont les conditions de financement sont aujourd’hui attractives. Cet effet de levier reste raisonnable, à hauteur de 25% à 30% de la valeur de nos actifs.
Avec, en plus, un souci de diversification ?
Jean-Marc Coly – La diversification entre effectivement également dans nos tactiques d’optimisation de la performance. Diversification géographique : nos produits investissent désormais dans toute l’Europe, et même parfois en dehors de la zone euro. Ou diversification sectorielle: aux côtés des actifs de bureaux ou de commerces, nous prenons position sur des secteurs comme la logistique, la santé, les résidences de service. Mais, là encore, cette diversification, géographique ou sectorielle, s’effectue essentiellement sur des actifs « core ». Dernier levier : une prise de risque – maîtrisée – avec l’acquisition d’immeubles en état futur d’achèvement, ou sans locataire. Ce risque est un risque purement locatif, les actifs acquis de cette manière restant des actifs de qualité. Mais le rendement espéré sur ce type d’investissement, si tout se passe à peu près normalement – en termes de niveau de loyers ou de délais de location – sera supérieur à celui généré par nos actifs cœur de portefeuille, avec en outre l’avantage, s’agissant d’immeubles neufs, de réduire le poste des travaux à prévoir. C’est donc l’ensemble de ces stratégies qui nous permet d’espérer pouvoir servir durablement la performance qu’attendent nos associés.
Amundi Immobilier n’est pas seul sur ce marché, qui attire de plus en plus d’investisseurs, parce la classe d’actif immobilier est l’une des plus rentables aujourd’hui, parce que les taux sont au plus bas depuis plusieurs années. Mais que pourrait-il se passer si les taux remontaient, même si la question n’est pas à l’ordre du jour ? Quel moteur de performance pourrait se substituer à la mécanique de revalorisation automatique dont ont bénéficié les actifs immobiliers ces dernières années ?
Jean-Marc Coly – C’est la question centrale aujourd’hui, compte tenu des niveaux de taux auxquels nous sommes parvenus. Puisque le seul sens dans lequel ils peuvent désormais évoluer, c’est celui de la hausse… Notre théorie, qui se vérifie tous les jours, est la suivante : il n’y aura une remontée des taux que lorsqu’il y aura une réelle reprise économique. Et le parallélisme sera a priori parfait. Autrement dit, petite reprise économique, petite remontée des taux. Grosse reprise économique, grosse remontée des taux. Actuellement, au niveau européen, on voit bien que dès que des inquiétudes se font jour sur le niveau de la croissance, les autorités monétaires diminuent de nouveau les taux de manière à la stimuler. Les marchés immobiliers, notamment européens, étant restés extrêmement raisonnables, on constate qu’à la moindre reprise économique se produit une tension sur le marché qui fait que les loyers repartent à la hausse. Et finissent par rattraper ce qu’ils ont perdu depuis 2007. C’est donc moins la remontée des taux que la reprise économique qui nous intéresse aujourd’hui, car cette reprise sera le nouveau moteur de performance de l’immobilier dans les années à venir. Une petite remontée des loyers aura des conséquences positives sur la performance de nos fonds. Et elle viendra compenser l’effet de la remontée éventuelle des taux. Nous considérons en outre que plus la remontée des taux sera forte, plus la reprise économique sera forte, et donc plus l’augmentation des loyers sera forte. Il se peut que le parallélisme ne soit pas parfait, et qu’il y ait un décalage dans le temps, autrement dit une remontée des loyers un peu moins rapide que celle des taux. Mais l’effet global – hausse des loyers venant compenser la remontée des taux – devrait bien être présent. Et venir stimuler le rendement de nos produits. Conclusion : l’immobilier reste aujourd’hui un placement à même de générer des rendements, tout en conservant son statut de protection vis-à-vis de l’inflation. Il ne faut plus en revanche espérer de fortes revalorisations, du fait de taux désormais, au mieux, orientés à la hausse. L’immobilier reste donc une classe d’actif attractive en termes de rendement et en termes de valorisation, globalement stable et protectrice contre l’inflation.
Passons maintenant à l’actualité produit d’Amundi Immobilier. Vous venez de lancer une unité de compte dédiée à l’immobilier, Tangram. Pourquoi seulement maintenant, alors que cette alternative aux fonds en euros existe déjà depuis longtemps chez vos concurrents ?
Jean-Marc Coly – En réalité, nous ne sommes pas en retard… Car, au moment où d’autres sociétés de gestion lançaient des unités de comptes immobilières, sous forme de sociétés civiles, Amundi Immobilier avait choisi de développer l’OPCI au sein des contrats d’assurance-vie. Avec « un peu » de succès, puisque notre produit – Opcimmo – affiche aujourd’hui quelque 8 milliards d’euros d’encours… Ceci dit, nous estimons désormais nécessaire de se positionner également sur le segment des sociétés civiles immobilières. Petit aparté : je rappelle que ce concept a été développé pour la première fois lorsque j’étais à La Française. Puis répliqué par André Camo, lorsqu’il a rejoint le groupe Primonial. J’avais donc, personnellement, assez à cœur de reprendre, chez Amundi, une solution que j’ai contribué à formuler… Donc, Tangram s’inspire des solutions existantes, mais avec des caractéristiques supplémentaires. D’abord, elle adopte une vision un peu plus mondiale. Une partie des capitaux sous gestion sera notamment investie sur des marchés internationaux, asiatiques ou nord-américains. Pas directement, mais au travers d’indices immobiliers répliqués par des ETF, un métier sur lequel le groupe Amundi dispose d’une expertise reconnue. Ensuite, Tangram sera ouverte aux « club-deals », une forme d’investissement plutôt réservée aux investisseurs institutionnels. Et elle bénéficiera de toute la recherche d’Amundi Immobilier en matière de fonds immobiliers. Cette expertise de recherche et de sélection de fonds internationaux sera utilisée pour ajouter, au sein de Tangram, des produits immobiliers performants. Tangram aura aussi la possibilité d’investir sur des actifs en direct, notamment pour le « plaisir » de récupérer la TVA, ce qui ne sera possible que si au moins 10% de nos revenus sont soumis à la TVA. C’est donc approximativement la proportion d’actifs détenus en direct qui sera présente au sein du portefeuille de Tangram. Y figureront également un compartiment SCPI, avec des SCPI gérées par Amundi Immobilier (50% au maximum), mais aussi des SCPI gérées par d’autres sociétés de gestion. Toutes ces poches d’investissement formeront le « puzzle » de Tangram – qui, précisément, veut dire « petit puzzle » en chinois -. Tangram, c’est donc une formule résolument différente, dans sa conception et dans la nature des actifs qui la composeront, plus que dans sa forme puisque, effectivement, des produits de même nature sont déjà présents sur le marché.
Une autre innovation, en particulier, à signaler chez Amundi Immobilier aujourd’hui ? En matière de digitalisation, par exemple ?
Jean-Marc Coly – Au-delà du principe qui consiste à pouvoir acheter de l’immobilier sans avoir à signer des documents papier, une technologie qui semble globalement acquise, la digitalisation impose surtout de s’interroger, aujourd’hui, sur la manière dont nos produits seront distribués demain, en partie, peut-être, via internet. Internet ne connaît pas de frontière : il est donc probable que d’autres acteurs viendront sur nos marchés domestiques, de la même manière que nous aurons, nous, la possibilité de nous positionner sur les leurs. La digitalisation, c’est donc aussi l’ouverture des marchés de la distribution de nos produits, et c’est à cela aussi que nous devons réfléchir…
Propos recueillis par Frédéric Tixier
A propos d’Amundi Immobilier(i)
Amundi Immobilier, filiale dédiée dans la gestion d’actifs immobiliers d’Amundi (N°1 de l’asset management en Europe et dans le top 10 mondial, est spécialisée dans le développement, la structuration et la gestion de fonds immobiliers axés sur le marché européen. Avec 31 Mds d’euros sous gestion, elle est n°1 en France en collecte et en capitalisation pour les SCPI et OPCI grand public. Amundi Immobilier s’appuie sur de nombreux distributeurs pour la commercialisation de ses produits : réseaux bancaires, assureurs, conseillers en gestion de patrimoine, banques privées, courtiers en ligne. Amundi Immobilier développe également une gamme de produits de diversification patrimoniale (groupements forestiers, groupements viticoles, …).
(i) Cette information est extraite d’un document officiel de la société