S’il était, depuis 2016, « impératif de détenir dans un portefeuille d’immobilier coté des foncières de logement allemand », un possible durcissement de l’encadrement des loyers outre-Rhin pourrait conduire à une dépréciation de la valeur de leur patrimoine, explique Laurent Saint Aubin, gestionnaire actions spécialiste de l’immobilier européen chez Sofidy, dans son dernier commentaire de marché.
Depuis 2016, la messe était dite : il était impératif de détenir dans un portefeuille d’immobilier coté des foncières de logement allemand et de renoncer aux foncières de commerces.
Forte visibilité vs dépréciation naturelle
Et cela, sans injustice excessive : la densité des surfaces commerciales est élevée en Europe, la concurrence qui accélère le rythme de dépréciation naturelle incite les bailleurs à investir toujours plus dans la modernisation de leurs centres sans en tirer profit en termes de loyer, les ventes au mètre carré dans le commerce stagnent et tirent les taux d’effort¹ vers le haut, fragilisant les locataires. A l’inverse, le segment du résidentiel allemand² alliait une forte visibilité en termes de croissance organique et des perspectives de développement externe relatives avec le développement de nouvelles unités, notamment via des investissements de densification, et le financement attractif d’opportunités d’acquisition grâce à un faible coût du capital.
Possible gel des loyers
La pression nouvelle observée outre-Rhin liée aux hausses de loyers récentes (multipliés par deux en dix ans à Berlin) pourrait conduire, au moins dans la capitale allemande, à un gel des loyers pour une durée initiale minimale de 5 ans. S’ajouterait à cela la quasi-impossibilité de faire supporter une part significative des investissements de modernisation aux locataires sans accord de ces derniers. Certaines associations réclament même une expropriation des investisseurs privés sur le fondement de l’article quinze de la Loi fondamentale. Cette nouvelle donne est renforcée par la perspective d’un débat sur des mesures nationales encadrant l’évolution des loyers, proposées par les écologistes allemands, dont la montée en puissance dans les sondages a accru la force de persuasion.
Remontée de la prime de risque
Au total a été observée une remontée immédiate de la prime de risque implicite associée au secteur. Deutsche Wohnen, ainsi, dont le portefeuille est situé à 66 % à Berlin, a baissé de 17,5 % par rapport à ses plus hauts, reconstituant une décote de 13 % par rapport à l’ANR publié au 31 mars. Nous avons donc mené un exercice de valorisation théorique du portefeuille de la foncière Deutsche Wohnen sur la base des éléments fournis par les experts immobiliers au 31/12/2018, notamment pour détailler leurs hypothèses de valorisation par la méthode des Discounted Cash-Flows. Il en ressort qu’une application de cette mesure à Berlin au 1er janvier 2020 pourrait aboutir à des dépréciations sur les actifs nets réévalués pouvant atteindre 25 % en prenant en compte un levier théorique de 40%.
Baisses de valeur limitées
Néanmoins, plusieurs éléments doivent être pris en compte. D’abord, la possibilité de recours administratifs, la législation sur les loyers étant en principe du ressort de l’Etat fédéral. Ensuite, l’approche pragmatique de certains Länder, comme la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (principale région économique de l’Allemagne), davantage enclins à résoudre le problème du logement en stimulant la production d’unités nouvelles. Auquel cas, la législation ne s’appliquerait pas aux constructions nouvelles. Enfin, les propriétaires restant principalement des bailleurs non professionnels, les baisses de valeur seraient vraisemblablement limitées, compte tenu de l’attractivité que des portefeuilles résidentiels de qualité conservent pour des investisseurs immobiliers plus passifs, dont les objectifs de rentabilité sont moins élevés.
Retour en grâce des foncières de commerces ?
Cela peut-il suffire à entraîner un retour en grâce des foncières de commerces prime, soit Unibail-Rodamco-Westfield (URW), Klépierre et, dans une certaine mesure, Hammerson ? Leurs centres conservent des fréquentations élevées, avec cinquante millions de visiteurs au Forum des Halles ou à Westfield Stratford City tous deux détenus par URW, et sont devenus incontournables pour les marques, y compris pour développer leurs ventes en ligne. Si l’on retient l’exemple d’Unibail-Rodamco-Westfield, la valorisation boursière ajustée à la clôture du 14 juin 2019 est la suivante (cours 135,85 €) :
Les perspectives de rentabilité globale pour l’actionnaire sur 2 ans (2019e + 2020e) sont de 9 % (4,4 % par an), dont un rendement du dividende de près de 8 %, justifiant sans doute une décote moins importante. La capacité du groupe à faire tourner son portefeuille de locataires en compensant les coûts d’éviction des commerçants sortants nous conduit à juger crédible une croissance organique d’au moins 2 % par an sur les années à venir, au-dessus de l’inflation.
Potentiel de croissance organique des foncières logement affecté ?
À l’inverse, en cas d’introduction d’une nouvelle réglementation sur l’encadrement des loyers à Berlin, le potentiel de croissance organique de Deutsche Wohnen à horizon 2024Eserait durablement affecté, de 3,5 % – dont 150 à 200 bps dus aux investissements de modernisation – par an environ à 0,4 % par an.
D’où le tableau comparatif suivant, favorable en première lecture à URW :
- en cas de pondération à hauteur de 50 % du vote de la loi sur le gel des loyers à Berlin (dans le cas de Deutsche Wohnen),
- en intégrant une contribution moyenne de l’indexation à hauteur de 1,5 % par an et de 1 % pour la réversion (rotation annuelle moyenne des locataires 10 % ; réversion nominale de 10 %).
Néanmoins, Deutsche Wohnen pourrait décider d’accroître significativement son niveau de distribution (actuellement de 65 % de son résultat récurrent) et accélérer sur les cessions à la découpe, cela biaisant un peu le tableau précédent. URW ne pourrait capturer ??ce niveau de réversion qu’en contrepartie de coûts d’éviction et d’investissements de maintenance continûment élevés.
Laurent Saint Aubin
A propos de Laurent Saint Aubin
Laurent Saint Aubin a débuté sa carrière en 1986 comme analyste financier à la Banque de l’Union européenne avant de rejoindre la société de Bourse Ferri puis le CCF. Il a été ensuite directeur général d’ING France Securities en charge des activités de marché Actions à Paris, puis, à compter de 2006, responsable des activités de vente et de recherche sur l’immobilier coté au sein du groupe Aurel BGC. Membre de la SFAF, il a reçu en 2012 le trophée du meilleur analyste des sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC). Depuis 2014, il gère le FCP Sofidy Sélection 1, où il développe une gestion discrétionnaire visant à « surperformer, via une exposition aux actions du secteur immobilier de l’Union européenne, l’indicateur de référence FTSE EPRA/NAREIT Euro Zone Capped dividendes nets réinvestis ».
A propos de Sofidy
Depuis 1987, Sofidy conçoit et développe des produits d’investissement et d’épargne (SCPI, OPCI, SIIC, société civile, OPCVM immobilier, fonds dédiés) orientés principalement vers l’immobilier de commerces et de bureaux. Premier acteur indépendant sur le marché des SCPI avec plus de 5,1 milliards d’euros sous gestion, Sofidy est un gestionnaire de référence dans le paysage de la gestion d’actifs immobiliers en France et en Europe. Agréée par l’AMF, Sofidy est régulièrement distinguée pour la qualité et la régularité des performances de ses fonds. Sofidy gère pour le compte de plus de 50 000 épargnants, et un grand nombre d’institutionnels, un patrimoine immobilier constitué de plus de 4 200 actifs commerciaux et de bureaux. SOFIDY est une filiale du groupe TIKEHAU Capital.
[1] Loyers/chiffre d’affaires des commerçants.[2] Poids au sein de l’indice de référence EPRA Eurozone : 32,9 % vs 22,6 % pour le commerce au 31 mai dernier.