La reprise de 127 galeries commerciales par le distributeur montre que le coût du capital avantageux des SIIC ne résiste pas à la concurrence d’investisseurs financiers pouvant se permettre de s’endetter très fortement.
II a fallu encore attendre plusieurs mois après le refus de démentir une telle opération par Georges Plassat au SIEC (voir Pierreppapier.fr du 20 juin 2013) avant qu’elle ne soit annoncée lundi 16 décembre. C’est donc fait ! Carrefour va racheter à la foncière Klépierre les 127 galeries que le distributeur avait cédé dans un ensemble de 160 galeries commerciales à la Foncière Klépierre au début de l’année 2000. Avec l’arrivée de Jacques Ehrmann, ancien directeur général de Mercialys, en mai dernier, les observateurs qui voulaient bien se donner la peine d’observer savaient bien que ce grand professionnel n’était pas venu pour faire de la figuration !
Une opération qui plaira aux grands actionnaires du distributeur
Le vendeur d’aujourd’hui semble avoir fait une bonne affaire puisqu’il avait déboursé à l’époque 1,5 milliard d’euros et qu’il encaisse aujourd’hui un chèque de 2 milliards d’euros. C’était pourtant le coût du portage de ces actifs qui a permis à Carrefour de se désendetter après avoir repris son concurrent Promodes. En outre, Carrefour conclut ici une opération stratégique qui ne grèvera pas son bilan puisque parallèlement à la reprise de contrôle de ces actifs immobiliers, il crée une foncière de commerces à laquelle il apporte 45 centres commerciaux encore en sa possession valorisés 700 millions d’euros. Il en détiendra 42 % du capital aux côtés d’investisseurs financiers. Il s’agirait, entre autres, d’Axa, Predica (Crédit Agricole), Sogecap (Société Générale), Cardif, Amundi (société de gestion d’actifs du Crédit Agricole et de la Société Générale) ainsi que de Colony Capital, fonds d’investissement par ailleurs associé à Groupe Arnault, actionnaire de référence de Carrefour. « Nous aurons donc la main, tout en ne sortant qu’une centaine de millions d’euros en cash », indique un membre du groupe Carrefour cité par Le Monde. C’est peu, d’autant que Carrefour prévoit que 500 millions d’euros seront nécessaires pour moderniser ces galeries au cours des cinq prochaines années.
Une foncière de Carrefour en Bourse…
Selon le quotidien économique Les Echos, Jaime Vasquez, analyste chez JP Morgan, estime que cette société « pourrait faire l’objet d’une introduction en Bourse ». Voici que ressurgit donc la perspective d’introduction en Bourse d’une foncière contrôlée par Carrefour dont une première tentative avortée il y a deux ans.
George Plassat parvient donc à satisfaire son ambition de redevenir « maître chez soi » tout en allégeant le bilan de son groupe. Et mener ainsi une opération qui plaira sans nul doute à ses actionnaires Colony capital (présent dans le tour de table de Carrefour à hauteur de 3,6% par sa holding Partners) et Groupe Arnault (8,4%) militant pour la cession de l’immobilier.
L’opération a l’heur de plaire au marché comme le montre le gain de l’action Carrefour qui s’est adjugé en séance 1,93% quand l’indice CAC 40 progressait de 1,48%. Mais le vendeur Klépierre n’est pas en reste puisque son titre a gagné 1,41 %. Avec cette cession, la société d’investissement conclut elle –aussi une opération stratégique conforme aux visées de son principal actionnaire, Simon Property Group, le leader américain des centres commerciaux. Le portefeuille cédé qui couvre une surface totale d’environ 476 000 m2, comprend 57 actifs en France (70% du montant de la transaction), 63 actifs en Espagne (19% du montant) et 7 actifs en Italie (11% du montant). Toutes ces surfaces de taille unitaire moyenne ne correspondaient plus à la physionomie des grands centres commerciaux sur lesquels la foncière entend se recentrer, tout autant que cela lui permet de diminuer son exposition à l’Europe du Sud. Cette opération va redonner des capacités financières à Klépierre dont le ratio de dette rapporté à la valeur du patrimoine va repasser sous les 40% ; détail piquant, Klépierre devient la grande foncière européenne la moins endettée alors qu’elle fut la seule SIIC a devoir procéder à une augmentation de capital à prix cassé dans le sillage de la crise financière ouverte par la chute de la Maison Lehman Brothers le 15 septembre 2008, pour cause de rachat par dette de centres commerciaux en Scandinavie …
Les SIIC exclues du jeu
Cependant cette opération de reprise de contrôle d’actifs immobiliers par un utilisateur montre que dans le contexte actuel, le statut de transparence fiscale des SIIC censé leur conférer un coût du capital compétitif pour concurrencer les fonds opportunistes qui avaient raflé la mise pendant la crise des années 90 ne suffit plus. Le montage de l’opération par Carrefour et ses alliés laisse une forte place à l’endettement à bon compte. Le financement de la société sera en effet assuré par fonds propres pour un montant de 1,8 milliard d’euros, et à hauteur de 900 millions d’euros par dette. De la même façon, les SIIC sont exclues du jeu pour la reprise de beaux actifs comme le centre commercial Beaugrenelle ou le siège de SFR situé à la Plaine Saint-Denis. On parle pour ce dernier d’acheteurs financiers finançant leur achat avec près de 70 % de dettes…
Cet argent facile pourrait bien alimenter une bulle immobilière que certains redoutent. Il est peut-être trop tôt pour parler de bulle. En tout cas chez Carrefour ça pétille déjà…
Christophe Tricaud
pierrepapier.fr