Les marchés sont-ils trop chers ? Logements, bureaux, Bourse, les prix donnent le vertige. Mais comment savoir si le marché immobilier ou celui des actions a dérapé ? Attention, explique Guy Marty au micro de Fabrice Cousté sur Radio Patrimoine, il faut s’intéresser à la masse monétaire. Et là, quelques surprises nous attendent. Attention encore, il y a la « valeur » de long terme et il y a les fluctuations à court et moyen terme…
Fabrice Cousté
On entend un peu partout que le marché immobilier serait cher, la Bourse en surchauffe. La Banque Centrale Européenne vient même d’indiquer que le marché de la zone euro est surévalué dans le résidentiel comme dans les bureaux. Qu’en pensez-vous ?
Les marchés surévalués ?
Guy Marty
Cela me fait penser à une magnifique étude de 2004 du Fonds Monétaire International (FMI), qui expliquait avec de nombreux graphiques, de nombreux calcul, de l’économétrie, que le logement partout en Europe et partout dans le monde en fait, allait s’effondrer le lendemain matin. Notamment en France.
Donc, en fait, des organismes parfois très réputés et qui ont des moyens pour étudier, ont annoncé que le logement était trop cher et puis le logement n’a pas obéi à ces études et il a continué à monter.
Fabrice Cousté
Et la bourse non plus. 2004 – 2021, alors même combat ou est-ce qu’on peut avoir des pistes ? Finalement ce marché est-ce qu’il est cher ? Je crois que vous avez obtenu un graphique qui peut rebattre un peu les idées reçues.
Guy Marty
Un graphique choc, une surprise. Je le tiens de Pierre Schoeffler de l’IEIF (Institut d’Épargne Immobilière et Foncière). Un graphique tout à fait étonnant puisqu’on parle d’inflation qui se déporterait vers les actifs. Pourquoi ne pas aller au bout du raisonnement ? Pourquoi ne pas mesurer M 3 et déflater les marchés de M 3 ?
La masse monétaire qui circule dans l’économie
Fabrice Cousté
Alors M 3 déflaté, il faut nous expliquer !
Guy Marty
M 3 c’est la masse monétaire en circulation dans l’économie. Il y a deux définitions possibles :
- La première, plutôt technique, consiste à dire que c’est tout l’argent qui est dans votre poche, qui est sur les comptes bancaires, tous dépôts à moins de 2 ans. Ou un OPCVM qui aurait des emprunts à échéance moins de 2 ans si vous voulez.
- et la définition active, si je puis dire, « ce que ça fait », c’est la masse monétaire qui circule dans l’économie, qui est dans les crédits, qui est dans la consommation etc. Donc c’est vraiment l’argent qui circule dans l’économie.
Ensuite, déflater de M 3 cela veut dire qu’on regarde comment ont progressé le logement, les actions, les bureaux par rapport au M 3. C’est M 3 la base.
Et là il y a une découverte absolument stupéfiante, c’est vraiment un graphique choc. Si on prend sur un peu plus de 40 ans, c’est à dire de 1977 à aujourd’hui, septembre 2021 en fait, on s’aperçoit que le logement est aujourd’hui exactement au même niveau qu’en 1977, si on considère que l’unité c’est la masse monétaire.
On s’aperçoit que les bureaux sont un petit peu en dessous de leur niveau de 1977, alors qu’ils se sont énormément améliorés. Les logements aussi d’ailleurs, on ne vit plus du tout dans les mêmes logements.
Les actions en revanche ont été multipliées par deux. Une multiplication par deux sur 45 ans cela fait une rentabilité annuelle de proche de 1,5 %. En prenant uniquement le cours des actions (pas l’effet dividendes). Ce n’est pas du tout déraisonnable.
Donc si l’on regarde par rapport à la masse monétaire, les marchés ne sont pas du tout excessifs.
Oui, les marchés connaissent parfois des bulles
Fabrice Cousté
Les marchés pas du tout excessifs. Et pourtant on entend qu’il faudrait tout vendre. Mais on pourrait dire aussi, si ce n’est pas cher, on peut tout acheter ?
Guy Marty
C’est la grande question ! D’abord j’imagine qu’aucun CGP ne dit à ses clients « on vend tout maintenant », « on achète tout maintenant ». Il y a une chose qui s’appelle la diversification, l’équilibre du patrimoine, comment surtout se préparer à ce qui peut arriver qu’on connaît ou qu’on ne connaît pas.
Vous savez, pendant la bulle internet, la Bourse était à 6,5 fois presque 7 par rapport à la masse monétaire, par rapport aux 2 fois d’aujourd’hui.
Fabrice Cousté
Donc là on était peut-être un petit peu cher ?
Guy Marty
On était totalement trop cher.
Et c’est pour cela que le CAC a mis si longtemps pour retrouver son niveau de 2000 en euros courants. De même en 2006 – 2007, la Bourse était à 4,5 fois son niveau par rapport à la masse monétaire.
Donc il peut y avoir des fluctuations tout à fait aberrantes, irrationnelles, exagérées, c’est le plaisir, la difficulté et le charme de la Bourse.
Fabrice Cousté
C’est vrai ! Et sur les bureaux, la bulle par rapport à votre graphique ?
Guy Marty
On la voit très bien, on la voit très très bien dans les années 1987, 1988, 1989. Comme on le voit un petit peu pendant la même période sur le logement. Beaucoup moins. Le marché des bureau xavait très fortement dérapé en 1988 – 1989. Le logement lui, n’a dérapé qu’à ce moment-là et puis ensuite curieusement 2011. Depuis 2011, il est revenu au niveau de la masse monétaire.
Fabrice Cousté
Et bien voilà, à tous ceux qui pensent que le marché est trop cher, l’immobilier est trop cher, finalement pas tant que ça !
Comment se trouvent les bonnes idées ?
Il arrive que l’on se demande comment trouver de bons éclairages. Après tout, les prix de marché sont des données pures : comment les interpréter ? Le graphique consistant à comparer les marchés financiers et immobiliers à la masse monétaire M3 est vraiment simple. Pourquoi n’avait-il pas été publié plus tôt ? En réalité Pierre Schoeffler, de l’IEIF, a souvent présenté des analyses inspirantes. Mais il n’avait pas eu l’idée de celle-ci…
Nous nous retrouvons lui et moi, de temps en temps, pour échanger. Sans ordre du jour. Nos échanges ont souvent fait naitre de nouvelles idées. La dernière fois, il me dit qu’il venait de découvrir un graphique étonnant. D’abord il me rappela M1 : les pièces et les billets dans notre poche. M2 : on ajoute à M1 les comptes bancaires. M3 : on ajoute les comptes, livrets, dépôts à moins de deux ans. C’est M3 qui représente la masse monétaire qui circule dans l’économie, c’est aussi celle qui correspond à la capacité de crédit des banques. Parler de M3 permet de ne pas s’enliser dans les débats complexes sur les interventions des Banques Centrales, création monétaire ou pas. Et si l’on compare les logements à M3 sur longue période, ils sont à un niveau désespérément stable !
Ne pas oublier d’aller boire un verre
C’est aussi simple que génial, car cela mesure l’effet des politiques monétaires. Toutes les politiques accommodantes, toutes les injections de liquidités, la progression astronomique des dettes des États… on a bien compris qu’il y a un lien de cause à effet avec l’inflation des actifs. Le chaînon manquant dans les explications et les mesures était M3, tout simplement.
Mais comment lui est venue l’idée de comparer M3 et les prix des marchés ? Par une question de Mathias Bertojo, co-président de Spirit, un promoteur très actif sur le marché du logement. Lors d’une rencontre, il demanda à Pierre Schoeffler si l’on pouvait comparer les évolutions du logement et de la masse monétaire. L’art de la question simple.
La contemplation des chiffres et des courbes gagne donc à être complétée par des échanges informels.
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