Entretien dense et sans langue de bois : Charles Gave, économiste iconoclaste et fondateur de l’Institut des Libertés, est interrogé par Guy Marty, spécialiste de l’épargne et de la pierre-papier. Ensemble, ils décryptent les pièges qui guettent les épargnants. La responsabilité des banques. Les effets pervers des politiques publiques. Et, donc, les réflexes à adopter pour reprendre le contrôle de son patrimoine…
Guy Marty – Bonjour Charles Gave. Alors… Vous êtes financier ? Économiste ?
Charles Gave – Oui, tout à fait.
Guy Marty – Vous êtes aussi, on pourrait dire, un mécène. Vous avez fondé l’Institut des Libertés, notamment. Et vous écrivez.
Charles Gave –Et j’ai aussi fondé l’Université de l’Épargne. Pour aider les gens à mieux gérer leur épargne.
« Cessez de vous faire avoir » : un guide de l’épargne au titre percutant…
Guy Marty – Eh bien, bravo ! Et cela nous amène au sujet du jour, puisque vous venez de publier un nouvel ouvrage – Cessez de vous faire avoir. Ma première question portera justement sur ce titre. C’est un guide des placements, sur l’épargne, on est bien d’accord. Mais pourquoi avoir choisi un intitulé aussi… percutant ?
Charles Gave – La raison est très simple. Quand on observe la manière dont l’épargne des gens « normaux », des « petites gens », est gérée – à travers les banques et les réglementations imposées par les États –, on se rend compte qu’une grande partie de cette épargne est en réalité administrée dans l’intérêt des banques et des gestionnaires… mais rarement dans celui de l’épargnant lui-même.
Guy Marty – Donc vous vous placez clairement du côté de l’épargnant.
Charles Gave – Absolument. Et je le dis franchement : c’est un vrai scandale. Il existe des méthodes permettant de générer environ 4 % de rendement réel sans prendre de risques. Et si l’on accepte de prendre un peu de risque, on peut aller jusqu’à 6 %. A ce taux-là, votre capital double tous les douze ans. Pendant ce temps, les banques, dans le meilleur des cas, vous proposent 1 %, parfois 2,5 %. Le reste, elles le prennent en frais. Et le pire, c’est qu’elles n’apportent aucune valeur ajoutée. Je serais d’accord pour qu’elles gagnent davantage au-delà de 4 % de rendement réel, si elles créaient effectivement de la valeur. Mais qu’elles se rémunèrent sur mon capital… ça, non. Je suis très attaché à défendre les intérêts des épargnants, des petites gens.
Les placements traditionnels profitent aux banques, rarement à l’épargnant, malgré les promesses de conseils et de performance.
Guy Marty – Justement, dans votre livre, vous expliquez votre “carré magique”, cette matrice qui permet de situer les grandes dynamiques économiques entre croissance et inflation. Et j’aimerais vous poser deux questions spécifiques sur l’immobilier. Parce que selon vous, lorsqu’on est dans un scénario avec à la fois croissance et inflation…
Charles Gave – Il faut posséder de l’or. Des valeurs refuges.
Guy Marty – Pourrait-on inclure l’immobilier dans cette catégorie ?
Charles Gave – En théorie, oui. Mais il y a un bémol, du moins en France. Car le droit de propriété n’y est pas pleinement respecté. Vous avez l’impression d’être propriétaire, mais entre les impôts, les taxes et les réglementations diverses, vous découvrez que votre bien ne vous appartient pas vraiment. L’immobilier, c’est une valeur refuge, mais contrairement à l’or, il ne peut pas monter dans un train pour Bruxelles. Il est immobile, par définition.
Guy Marty – Donc vous parlez du logement, mais l’immobilier en tant que placement ?
Charles Gave – J’ai quelques réserves. Beaucoup de mes amis très fortunés s’en séparent, tout simplement parce que ça ne rapporte plus rien. Et ce désintérêt est dû à la pression fiscale et réglementaire croissante. En soi, l’immobilier pourrait être un excellent placement. Mais l’État fait tout pour en capter la rentabilité. Aujourd’hui, on est presque à 100 % d’imposition sur les revenus immobiliers en France.
En France, l’immobilier souffre d’un droit de propriété affaibli et d’une fiscalité dissuasive, même s’il reste une valeur refuge.
Guy Marty – Oui, hélas… Même si certains ont tout de même su tirer leur épingle du jeu. Parlons maintenant d’un autre scénario de votre carré magique – celui de la croissance sans inflation. Là, vous évoquez les « valeurs d’efficacité« . Je voudrais évoquer une analyse de Pierre Schoeffler, que vous connaissez. Il a calculé que l’immobilier d’entreprise capte 100 % de l’inflation dans sa performance, et 30 % de la croissance du PIB. Est-ce que, selon vous, on pourrait classer les foncières cotées ou les SCPI dans les valeurs d’efficacité ?
Charles Gave – En principe, oui. Mais là encore, un facteur a changé la donne – Internet. Autrefois, tout le monde allait au bureau. Aujourd’hui, on ne s’y rend que pour les réunions essentielles. Une partie importante de l’activité économique s’est dématérialisée, y compris dans l’immobilier.
Guy Marty – C’est vrai. Mais l’immobilier d’entreprise ne se limite pas aux bureaux – il y a aussi les locaux d’activités, la logistique, les laboratoires…
Charles Gave – Absolument. Et si vous arrivez à louer à IBM, alors là, très bien !
Le numérique bouleverse les usages immobiliers : le bureau décline, mais l’immobilier d’entreprise reste stratégique s’il est bien ciblé.
Guy Marty – Justement, les foncières cotées affichent souvent de très belles performances, parfois même supérieures aux actions, sur la plupart des grandes places financières. Cela m’amène à une autre thématique de votre livre – le portefeuille permanent de Harry Browne. Pouvez-vous nous en expliquer rapidement le principe ?
Charles Gave – Bien sûr. Harry Browne part du postulat qu’il existe quatre grands scénarios économiques :
- Croissance sans inflation → il faut des actions.
- Croissance avec inflation → il faut de l’or.
- Pas de croissance avec inflation (stagflation) → il faut du cash.
- Récession ou déflation → il faut des obligations d’État.
L’idée, c’est que comme personne ne peut prédire l’avenir, il vaut mieux répartir son patrimoine en quatre parts égales sur ces actifs, et rééquilibrer périodiquement. J’ai testé ce portefeuille sur les données de plusieurs pays, et ça donne en moyenne 4 % de rendement réel avec une volatilité bien inférieure à celle des obligations. C’est une sorte d’invariant du capitalisme.
Guy Marty – C’est impressionnant… une véritable formule magique.
Charles Gave – Oui, et en l’analysant, on comprend pourquoi. En général, dans n’importe quelle conjoncture, deux classes d’actifs montent, une stagne, une baisse. Et les deux en hausse compensent toujours la baisse de la troisième. Ce portefeuille constitue un écosystème équilibré. Ce n’est pas parce que vous avez mis plein d’actions que votre portefeuille est diversifié – les actions chutent souvent toutes ensemble.
Le portefeuille permanent permet une diversification stable, performante, et adaptée à tous les cycles économiques, sans prédiction nécessaire.
Guy Marty – Et ce portefeuille permanent est aussi résilient face au temps.
Charles Gave – Oui. Nous l’avons testé sur la France avec des données remontant à 1840. Il ne faillit que dans un seul cas – quand une guerre éclate sur le territoire national. Là, seul l’or conserve sa valeur.
Guy Marty – Aujourd’hui, on estime que cinq à six millions de Français détiennent des cryptomonnaies. Le Bitcoin en tête, bien sûr. Comment expliquez-vous cet engouement, d’autant qu’il s’est produit sans encouragement fiscal, voire en dépit des discours officiels ?
Charles Gave – C’est très simple. L’épargne est un besoin humain fondamental. Pendant des siècles, les gens ont placé leur confiance dans les obligations d’État, comme les guildes britanniques. Mais depuis la chute du mur de Berlin, les gouvernements ont systématiquement ruiné les épargnants avec des taux à zéro. Les obligations ne valent plus rien. L’or reste une valeur refuge, mais il est difficile à acheter. Il est réglementé, confiscable. Le Bitcoin, en revanche, c’est une tentative de créer une réserve de valeur totalement indépendante des gouvernements. Sa valeur est purement subjective, mais c’est justement ce qui le rend fascinant – c’est une monnaie décidée par la communauté, pas imposée par un État. C’est une première historique.
Le Bitcoin émerge comme nouvelle réserve de valeur, libre des gouvernements, face à la défiance envers les monnaies et dettes publiques.
Guy Marty – Et pourtant, on sent une méfiance dans nos métiers à l’égard de cet univers…
Charles Gave – Les conseillers patrimoniaux ont été formés pour optimiser la fiscalité de leurs clients, ce qui est légitime. Mais il faut toujours garder en tête que lorsqu’un placement bénéficie d’un avantage fiscal, c’est souvent qu’il est mauvais… sinon, il n’aurait pas besoin d’incitation.
Un avertissement aux conseillers : un avantage fiscal ne compense pas un mauvais produit – l’analyse économique doit primer.
Guy Marty – Dernière question. Si vous deviez donner un ou deux conseils essentiels aux CGP, que leur diriez-vous ?
Charles Gave – D’abord, ne cherchez pas à capter les hausses. Un bon gérant, c’est quelqu’un qui sait éviter les baisses. Quand je reçois un portefeuille, je commence par identifier ce qui va immanquablement faire perdre de l’argent. Ensuite, seulement, je construis sur ce qui reste. Deuxième conseil – arrêtez de regarder votre portefeuille tous les jours. Si vous achetez un immeuble sur les Champs-Élysées, vous ne consultez pas sa valeur quotidiennement. Faites de même avec votre portefeuille permanent. Laissez-le vivre, et vous serez surpris du résultat.
Guy Marty – Donc éviter le bruit médiatique ?
Charles Gave – Exactement. Ignorez les nouvelles du jour. Le marché est saturé de bruit. Seuls 3 % des informations sont réellement pertinentes. Le reste est du divertissement qui pousse au mauvais timing.
La clé d’une bonne gestion : éviter les pertes, ignorer le bruit des marchés et s’en tenir à une stratégie simple, robuste.
Guy Marty – Merci infiniment. Et je recommande bien sûr votre ouvrage, Cessez de vous faire avoir. Il s’est déjà écoulé à plus de 30 000 exemplaires, ce qui est remarquable.
Charles Gave – Merci. Et je le dis aux Français – si vous voulez que votre épargne fonctionne, prenez-en vous-mêmes la responsabilité. Ne comptez pas sur l’État. Depuis cinquante ans, dites-moi un seul domaine où l’État a pris les choses en main… et où cela à fonctionné.
Guy Marty – Une dernière question – avez-vous un regret sur ce livre ?
Charles Gave – Aucun. En 90 pages, j’ai condensé 50 ans d’expérience. Mais ce qui m’agace, c’est de lire des commentaires du type – « Qu’est-ce qu’il cherche à gagner ? » Rien, figure-toi. J’essaie juste de rendre service. Mais on est arrivé à un tel niveau de soupçon généralisé, qu’on n’imagine plus qu’une démarche puisse être désintéressée.
Guy Marty – Je vous lis depuis Des lions menés par des ânes, et je dirais qu’on trouve chez vous deux qualités rares – une pensée forte et un style d’une clarté remarquable.
Charles Gave – Merci beaucoup. Être utile, c’est déjà un miracle.
Propos recueillis le 19 juin 2025.