Longtemps cantonnés au secteur technologique, les data centers suscitent désormais l’intérêt croissant des investisseurs immobiliers. L’IEIF, dans une étude actualisée en avril dernier, décrypte les grandes tendances de cette classe d’actifs alternative qui monte en puissance. Analyse.
À l’heure où l’intelligence artificielle, le cloud et les usages numériques explosent, les data centers s’imposent comme un pilier stratégique de l’économie digitale. Longtemps cantonnés au secteur technologique, ces actifs suscitent désormais l’intérêt croissant des investisseurs immobiliers, séduits par leur potentiel de croissance, leur rendement stable et leur résilience opérationnelle. Dans une étude actualisée en avril 2025[1], l’IEIF décrypte les dynamiques économiques, immobilières et énergétiques d’un secteur en pleine mutation.
Une demande exponentielle, un besoin d’infrastructures massif
Les data centers deviennent de plus en plus des actifs stratégiques. Entre 2018 et 2025, le volume de données échangées dans le monde a de fait été multiplié par six. En France, le nombre de data centers est ainsi passé de 250 en 2022 à 315 début 2024, selon Knight Frank, rappelle l’IEIF. À l’horizon 2033, la puissance installée devrait tripler pour atteindre 1,8 gigawatt, mobilisant près de 12 Md€ d’investissements. Cette croissance est évidemment portée par la montée en puissance de l’IA, de la 5G et de la mobilité connectée. Lesquelles nécessitent des capacités de traitement et de stockage toujours plus importantes, avec un besoin de latence minimale.
Une diversité de modèles économiques
L’IEIF rappelle les trois grands modèles coexistant parmi les data centers. Les data centers « propriétaires-utilisateurs », détenus en propre par des géants comme Amazon, Google ou Microsoft, qui représentent environ la moitié des infrastructures hyperscale[2] dans le monde. Les centres « neutres » ou en colocation, qui offrent des solutions d’hébergement aux entreprises externes, en gros ou au détail. Enfin, les data centers dits « edge » qui visent une implantation ultra-localisée, pour réduire la latence et soutenir des applications comme la voiture autonome ou les objets connectés.
Des défis énergétiques à surmonter
La face cachée du développement des data centers, c’est en revanche leur consommation électrique. Ils pourraient par exemple représenter jusqu’à 8% de la demande américaine d’électricité d’ici 2030. Contre 3% aujourd’hui. Le coût de l’énergie peut donc représenter jusqu’à 50 % de leurs charges d’exploitation. En réponse, les opérateurs innovent : refroidissement par immersion, récupération de la chaleur pour le chauffage urbain, optimisation du PUE (Power Usage Effectiveness), etc. Le PUE moyen des nouveaux centres tend vers 1,3. Les plus performants, comme ceux de Meta ou Google, atteignent même 1,1…
Des data centers en forte expansion en France
Le marché français des data centers connaît une croissance soutenue, portée par la demande numérique et l’essor du cloud. L’Île-de-France concentre plus de la moitié des capacités installées, avec 44 MW livrés au 1er trimestre 2024 et plus de 314 MW de projets annoncés. Les acteurs majeurs comme Digital Realty, Data4 ou NTT GDC y multiplient les implantations, malgré des tensions sur le foncier et l’électricité. Marseille, grâce à sa connectivité par câbles sous-marins, s’impose comme le second hub national. La France séduit par son mix énergétique décarboné à plus de 90 %, un argument ESG fort. En mai 2024, Microsoft a annoncé un investissement record de 4 Md€, suivi par Amazon, Equinix ou IBM. Au total, 12 Md€ devraient être injectés dans le secteur d’ici 2033, selon EY. Ces dynamiques font de la France un territoire stratégique pour les infrastructures numériques en Europe.
Une attractivité renforcée pour les investisseurs
Les data centers séduisent en outre par leur profil de rendement. D’où l’intérêt croissant des investisseurs pour cette classe d’actifs montante. En Europe, les taux de capitalisation observés fin 2022 variaient entre 3,6% et 4,5%. En 2024, ils se situent entre 5% et 6% selon Savills, rapporte l’IEIF. Aux États-Unis, où le marché est le plus mature, la rentabilité moyenne atteignait déjà 5,85% fin 2023. Ce niveau reste attractif, d’autant plus que la demande locative est portée par des contrats longs, souvent supérieurs à 10 ans, et indexés sur la puissance électrique (MW), gage de revenus récurrents.
Data centers : quels véhicules pour investir ?
L’accès à cette classe d’actifs se fait aujourd’hui principalement via des foncières cotées internationales (Digital Realty, Equinix, Segro), ou des fonds d’investissement spécialisés. Blackstone a par exemple racheté QTS Realty Trust pour 10 milliards de dollars en 2021 et prévoit d’injecter 7 milliards supplémentaires dans le secteur. Brookfield a acquis Data4 auprès d’AXA IM. Infranity, Infravia, GIC ou KKR figurent aussi parmi les investisseurs les plus actifs, souvent via des plateformes dédiées à l’infrastructure numérique. En France, des acteurs immobiliers généralistes sont de plus en plus nombreux à se positionner. Comme par exemple Altarea, dont l’ambition est d’implanter 12 centres de proximité d’ici 2030 (projet Nation Data Center). Ou Icade, qui a déjà livré en 2023 un centre pour Equinix en région parisienne, rappelle l’IEIF.
Data centers : une classe d’actifs résolument tournée vers l’avenir
Rappelons que certaines SCPI s’intéressent aussi à cette classe d’actifs. Notamment celles davantage tournées vers les segments de la logistique et de l’industriel, comme ActivImmo, chez Alderan, ou Log In, chez Theoreim. L’essor des data centers n’en est qu’à ses débuts. En Europe, le stock de capacité a triplé en sept ans. En France, les perspectives restent soutenues malgré des contraintes foncières et électriques. Le développement de hubs régionaux, la mutualisation des réseaux et l’intégration dans les politiques de sobriété énergétique sont les prochains leviers à activer. Pour les investisseurs, la classe d’actifs représente donc une opportunité de diversification, combinant rendement, croissance et résilience. Et demain ? L’étude de l’IEIF évoque déjà l’ère post-silicon : avec la promesse du stockage ADN, un seul gramme pourrait contenir autant de données qu’un data center entier. Une révolution potentielle… mais pas pour tout de suite.
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A propos de l’IEIF(i)
Créé en 1986, l’IEIF est un centre d’études, de recherche et de prospective indépendant spécialisé en économie immobilière. Son objectif est de soutenir les acteurs de l’immobilier et de l’investissement dans leur réflexion stratégique, en leur proposant des études, notes d’analyses, synthèses et clubs de réflexion. Il est producteur de statistiques et d’indices sur les fonds immobiliers non cotés (Edhec IEIF Immobilier d’entreprise France et IEIF OPCI Grand Public) et sur les sociétés immobilières cotées (18 indices quotidiens, dont l’indice Euronext IEIF REIT Europe).
(i) Information extraite d’un document officiel de la société.
[1] « Boom des Data Centers : spécificités et défis d’une classe d’actifs alternative » – IEIF – Avril 2025.
[2] Type d’infrastructure informatique de très grande taille, spécifiquement conçu pour répondre aux besoins massifs en calcul, stockage et bande passante des géants du numérique.